Tête à tête n°11
ANGLES MORTS
N° 11 (parution automne 2020)
Le code de la route définit l’angle mort comme un « espace de non-visibilité ». Obstacles latéraux ou autres usagers de la route peuvent surgir d’un « à-côté », hors de portée du conducteur. Pas vraiment là mais pourtant crucial, dérobé aux sens mais bien présent, périphérique mais bientôt central, il requiert une attitude vigilante et active : tourner le regard sera le seul moyen d’apercevoir ce qui se tenait à l’écart, pour en quelque sorte rendre vie à l’angle mort. Le non-visible entre ainsi en relation avec le visible, le redéfinit, le questionne, le déplace, le détruit peut-être.
Au delà du code de la route, l’angle mort affecte directement la question des régimes de l’image, établissant des conventions, des modalités d’usage, des jeux qui déterminent nos manières de voir, et ce dans deux directions distinctes.
D’un côté, l’œuvre peut, dans une vocation ontologique, révéler ce qui se dérobe à la vue, non sans audace ni danger parfois ; mettre au jour devient dès lors un acte politique, social, médiatique, et peut prendre la forme d’un engagement. Dans de nombreux territoires de la représentation, et à l’issue d’une année qui en France a vu des manifestants du samedi lutter pour leur visibilité, de nombreux angles morts (de l’information, de l’image, des représentations sociales) accèdent à la lumière. Une palme d’or bienvenue fit même remonter les invisibles du sous-sol à la surface.
Mais l’œuvre peut aussi ménager, dans sa forme même, des espaces d’invisibilité partielle ou totale qui invitent le spectateur à en prolonger le sens, à combler ses parts manquantes ou du moins à composer avec elles. Dès lors, l’angle mort assumé crée une dialectique souvent subtile du cadre et de ses marges, et pousse ainsi à frustrer l’appétit du spectateur en lui faisant ressentir l’impérieuse envie de voir au delà des bords, après ou à côté. Car c’est dans l’angle mort que se construit le suspens, que surgissent l’imprévu, le danger, la bête immonde ou la belle dénudée. Ainsi s’offre-t-il comme un espace libérant l’implicite, le fantasme spectatoriel, poursuivant les lignes pour élargir le champ.
On aurait tort de croire que l’angle mort n’est qu’une question esthétique. Il est bien plutôt, dans le rétroviseur de la voiture comme dans l’œil de l’artiste, une question de configuration, de dispositif, de mise en scène, donc de stratégie. Profondément ambivalent, il pose une question éthique majeure pour définir la relation complexe entre ceux qui donnent à voir et ceux qui regardent.
Ce sont ces relations troubles que les entretiens de cette onzième livraison de Tête-à-tête choisiront d’explorer. Faudrait-il donc tout voir ? Doit-on tout révéler ? Ne risque-t-on pas, comme Orphée, de perdre Eurydice après l’avoir embrassée du regard ? L’angle mort n’est-il pas aussi un repli salvateur permettant de soustraire à la société des espaces qui garantissent une certaine forme de liberté et une possibilité d’action ?
L’angle mort peut tour à tour faire du spectateur le témoin d’une révélation, la victime d’une tromperie, ou le complice d’un jeu consistant à aller chercher « à côté » pour mieux voir. Comme si le centre, soudain, n’était plus au milieu.
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Les projets seront rédigés selon les modalités suivantes :
a) Une proposition d’entretien argumentée, en relation directe avec le thème du numéro, ne dépassant pas 3000 signes ;
b) Un aperçu du questionnaire comportant une dizaine de questions donnant les principales orientations de l’entretien ;
c) Deux courtes bio-bibliographies (vous et la personne avec laquelle vous voulez faire l’entretien).
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Les projets sont à envoyer par mail à l’adresse suivante : revuetat@gmail.com
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Date limite de réception du projet : 1er décembre 2019
Date limite de réception de l’entretien définitif après acceptation du projet : 10 avril 2020
Pour tout renseignement sur la revue : www.revuetat.com
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19/11/2019