« L’ombre de Frankenstein ou le pouvoir d’une œuvre »
« L’ombre de Frankenstein ou le pouvoir d’une œuvre »
Colloque international
Montréal du 4 au 6 novembre 2020
L’année 1818 aura permis de voir apparaître une œuvre (et deux personnages) dont la présence ne s’est jamais démentie : Frankenstein, or the Modern Prometheus de Mary Shelley. En effet, dès les années 1820, des adaptations théâtrales apparaissent, alors que le cinéma s’empare du sujet en 1910, et n’a jamais semblé l’épuiser. Au cours de la décennie 2010, on peut retracer plus de quinze films qui s’inspirent du roman, comme le titre en témoigne la plupart du temps. Cinéma et théâtre, mais aussi littérature, bande dessinée, télévision, jeu vidéo, musique, art visuel, publicité, journalisme (les crimes horribles qu’on rapprochent de la créature), philosophie et science (les questions éthiques autour du « syndrome Frankenstein »), culture numérique, tous proposent des versions plus ou moins fidèles de l’original. Comment penser ce réseau complexe et transmédiatique dans lequel circulent deux personnages et leur quête tragique de dépassement des frontières de la vie, pour l’un, et d’identité, pour l’autre?
Richard Saint-Gelais développe la notion de transfictionnalité (Fictions transfuges : la transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Seuil, 2011, 608 p.) pour parler de la circulation entre plusieurs œuvres d’éléments fictionnels, la plupart du temps des personnages, circulation qui implique toutefois la présence d’une relation diégétique même minimale. Deux cas de circulation questionneraient les frontières du concept : les adaptations transmédiatiques (elles sont rarement lues comme des prolongements diégétiques) et les mythes modernes, dont l’« imprégnation à long terme de l’imaginaire collectif peut s’appréhender en termes transfictionnels, en tant que forme extrême de diffusion, à l’échelle non plus des textes, même nombreux, mais du discours social dans son ensemble » (36), qui serait par ailleurs « mythogène ». Et on peut bien parler dans le cas de Frankenstein d’un mythe, au sens de Lévi-Strauss : « L’objet du mythe est de fournir un modèle logique pour résoudre une contradiction (tâche irréalisable, quand la contradiction est réelle). » (Anthropologie structurale 1, Paris, Agora, 1985, p. 264.) Quoi de plus contradictoire que cette histoire de faux père et de vrai fils, de création qui échappe aussi bien aux dieux qu’à la nature, d’homme qui n’en est pas un tout en en étant un, de figuration du progrès qui en est sa parfaite critique?
Pour Saint-Gelais, la meilleure façon d’aborder la complexité de ces figures modernes est de les replacer dans des systèmes transfictionnels qui peuvent être sériels, cycliques, constellés ou rhizomiques. « [L]es ensembles transfictionnels [sont] autant de totalités provisoires et hétérogènes, […] le résultat en mouvement d’interventions scripturales qui ne sont pas toujours concertée […] et qui placent les lecteurs devant des polytextes de plus ou moins grande ampleur » (304). Parmi les grandes figures de l’imaginaire populaire, il identifie Frankenstein comme un exemple particulièrement intéressant en ce qu’il continue d’entretenir une forte relation à l’œuvre qui lui a donné naissance, tout en s’émancipant de celle-ci, dans une forme de double-vie transmédiatique et polyphonique. Il ajoute que « [c]ette labilité des figures fictives à forte circulation culturelle entraîne, de version en version, tout un jeu de sélections et d’additions, de sédimentations et de réaménagements qui font que la « vérité » de ces fictions ne repose plus sur les énoncés du texte-source » (379). Par exemple, plusieurs éléments, notamment visuels et diégétiques, du mythe frankensteinien proviennent des adaptations théâtrales (1823) ou cinématographiques (1931). Or, ces contributions sont largement anonymes, alors que Mary Shelley et son roman demeure connus. Ainsi, « l’œuvre originale est intégrée dans un système dont l’évolution résulte tout autant d’impulsions souvent impossibles à situer, « dissoutes » qu’elles sont dans l’espace transfictionnel qu’elles ont contribué à former. » (380) Cette multitude d’adaptations plus ou moins fidèles qui prolifèrent a échappé à Shelley comme la créature à Victor Frankenstein. La réalité fait un clin d’œil à la fiction.
L’année du 200e anniversaire de la publication a vu de nombreuses manifestations intellectuelles autour du roman de Shelley. Un colloque a notamment eu lieu à Bordeaux qui explorait le destin intermédial de Frankenstein. Celui que nous proposons en prendra le relais, accentuant la réflexion sémiotique, philosophique et historique sur le système transfictionnel frankensteinien, en analysant notamment la manière dont l’imaginaire scientifique du roman irrigue ses adaptations. Trois perspectives orienteront les travaux :
- les adaptations littéraires et transmédiatiques : étude d’adaptations spécifiques à partir d’approches théoriques diverses (sociocritique, psychanalyse, épistémocritique, etc.); réflexion sur les limites de l’adaptation (histoire culturelle); réflexion sur la notion d’adaptation en prenant Frankenstein comme point d’ancrage;
- le mythe moderne de Frankenstein et son système transfictionnel : étude sémiotique d’un ensemble d’œuvres et de leurs relations diégétiques autour du mythe moderne de Frankenstein, en tant que « figure fictive à forte circulation culturelle »; réflexion sur les notions de transfiction ou de mythe moderne en prenant Frankenstein comme point d’ancrage;
- l’imaginaire scientifique : réflexion sur la place de Frankenstein dans l’imaginaire scientifique moderne, tant sur le plan éthique, épistémique que langagier. Le discours scientifique, l’histoire et la sociologie des sciences, l’épistémologie, la vulgarisation scientifique et le journalisme pourront alimenter ces études.
Vous pouvez envoyer vos propositions de communication d’au plus 350 mots accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique avant le 30 novembre 2019 à despres.elaine@uqam.ca.
Laisser un commentaire
3/11/2019