Le Peintre dévorant la femme
Picasso vu par un djihadiste. Pour le premier, la femme est une dévoration, un abîme, un corps entier que l’on ne peut saisir que dans l’étreinte, l’immédiateté érotique, le désir, l’autoportrait de soi dans la chair de l’autre, la dévoration cannibale. Pour le second, la femme vue par Picasso est une anticipation scandaleuse de la femme rêvée dans le paradis, pour après la mort. Un péché, une désobéissance. Pour le premier, la peinture cannibale est à définir par l’ancien rite de la chasse où l’on se rêve dévoré par sa propre proie. Pour le second, l’art est dans l’inversement : on enterre la femme, on désire le désert ; on refuse la représentation, on rêve de l’uniformité. Une promenade de profane dans deux univers du « sacré » qui dévorent, ou qui tuent. Regards différents, opposés sur la Femme, l’érotisme, le désir. Pour le premier il s’agit de mourir de désir. Pour le second, il s’agit de faire mourir le désir ou de mourir pour pouvoir le combler. Retour sur mon propre univers : géographie de la misère sexuelle, de la chasse au couple, des définitions du désir encore ouvertes, de l’inquisition et de la peur des représentations et des corps glorieux. Méditation sur le nu et le contre-nu par un écrivain du monde dit « arabe ».
K. D.
Kamel Daoud est né le 17 juin 1970 à Mostaganem, à l’ouest de l’Algérie. Il a grandi dans le village de Mesra en Oranie, pour mener ensuite des études qui le conduisent jusqu’à l’université d’Oran. Journaliste depuis le début des années 1990, décennie de la guerre civile algérienne, il est aujourd’hui chroniqueur dans Le Point, Le Quotidien d’Oran, et collabore au New York Times. Il est l’auteur de La Préface du Nègre, Meursault Contre-enquête, Mes Indépendances, Zabor ou les psaumes. Il vit à Oran.
Nouvelle collection
MA NUIT AU MUSÉE
« Il y a quelques années, sur l’île japonaise de Naoshima où les œuvres d’art envahissent le paysage, j’ai vécu une expérience surprenante dans un hôtel contigu au musée. En pleine nuit, on pouvait se promener seul dans ce musée. Mon imagination s’emballait, j’imaginais mille histoires devant les œuvres. Elles me parlaient, à moi seule.
Cette nuit au musée m’a beaucoup marquée et petit à petit, l’idée m’est venue, l’envie surtout, d’enfermer des écrivains dans un musée, le temps d’une nuit, pour qu’ils vivent cette expérience et puissent la raconter. Quel rapport avons-nous exactement à l’art ? Et aux musées ? Quelle fiction, ou réflexion, peut-elle surgir dans le cerveau d’un écrivain en ce moment étrange, de solitude absolue dans un endroit où d’ordinaire on ne peut ni dormir ni être seul ? Chaque texte serait différent, inédit, forcement étonnant, personnel, amusant…
A ma grande joie, les écrivains ont accepté avec enthousiasme cette sorte de « performance » : investir un espace, dans un temps et selon un protocole donnés, avec des contraintes minimales, mais hautement romanesques. Une seule nuit, un lit de camp pour qu’ils se reposent, ou rêvent, dans un espace qu’ils ne connaissent pas mais déjà « habité » par un autre artiste, afin de donner vie à un texte où l’improvisation, et la surprise, constituent autant d’éléments excitants et féconds.
Un moment en dehors de l’œuvre en cours, débarrassé de ses enjeux de longue haleine. Une forme de jeu, de pas de côté, de respiration, et de confrontation, aussi, avec l’œuvre d’un autre, pour que jaillisse une étincelle imprévue, une fantaisie nouvelle, un nouveau cadre pour leurs obsessions d’écrivain.
Cette expérience démarre au musée Picasso – son Président Laurent Le Bon ayant accepté avec amusement et curiosité d’accueillir le projet – avec Kamel Daoud dans le rôle du visiteur du soir.
Alina Gurdiel
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20/03/2019