Le prix Sade est revenu à Jonathan Littell pour Une vieille histoire.
« Jean-Marie Laclavetine m’a informé du fait que vous avez choisi de décerner le prix Sade à mon roman Une vieille histoire.
Je vous remercie beaucoup pour ceci: comme vous devez vous en douter, Sade a toujours été un auteur dont je me sens très proche, pour de nombreuses raisons qui dépassent sa sulfureuse réputation. Comme écrivain, il a repoussé les limites de ce qui était possible, voire même pensable; aujourd’hui, nous sommes loin d’avoir fini d’explorer les territoires qu’il a ainsi ouverts; quand à en découvrir de nouveaux, il faudrait beaucoup de démesure pour même y songer. Si mon roman use de certaines des possibilités qu’il nous a offertes, il est loin de les épuiser. Je ne suis pas sûr de mériter l’honneur que vous me faites, même si je ne vois pas de raisons pour le refuser.
Malheureusement, je ne serai pas à Paris le jour de la remise du prix; j’habite en effet en Espagne, et suis fort occupé en ce moment avec un projet de film. J’ai donc bien peur que je ne pourrais pas être des vôtres ce jour-là. J’espère que vous le comprendrez et ne m’en tiendrez pas rigueur.
Je vous remercie encore une fois.
Bien cordialement,
Jonathan Littell »
«Sous le titre, ces mots : « nouvelle version ». Que veulent-ils donc dire? « Nouvelle » renvoie, de toute évidence, à une autre version, « originale ». Mais quel écart veut-on ainsi marquer? Le « nouveau » livre efface-t-il le « premier », qui n’en serait dès lors qu’une partie, ou une tentative manquée, incomplète?
Si l’écriture d’un livre est une expérience, la publication y met un terme, définitif. Or, pour une fois – la parution, en 2011, d’un récit en deux chapitres sous le titre Une vieille histoire –, cela n’a pas été le cas. Pourquoi, je ne sais pas ; toujours est-il qu’un jour j’ai constaté que le texte, comme un revenant, continuait mystérieusement à produire. Il a donc fallu recommencer à écrire, comme s’il n’y avait pas eu de livre. Curieuse expérience.
Plutôt qu’une continuité, un changement de plan. Demeure le dispositif : à chaque chapitre, sept maintenant, un narrateur sort d’une piscine, se change, et se met à courir dans un couloir gris. Il découvre des portes, qui s’ouvrent sur des territoires (la maison, la chambre d’hôtel, le studio, un espace plus large, une ville ou une zone sauvage), lieux où se jouent et se rejouent, à l’infini, les rapports humains les plus essentiels (la famille, le couple, la solitude, le groupe, la guerre). Ces territoires parcourus, ces rapports épuisés, la course s’achève : dans la piscine, cela va de soi. Puis, tout recommence. Pareil, mais pas tout à fait.
Or sept, ce n’est pas juste deux plus cinq. La trame, qui tisse entre eux la chaîne des territoires et des rapports humains, se densifie, se ramifie. Les données les plus fondamentales (le genre, l’âge même du ou des narrateur/s) deviennent instables, elles prolifèrent, mutent, puis se répètent sous une forme chaque fois renouvelée, altérée, La course, stérile au départ, devient recherche, mais de quoi? D’une percée, peut-être, sans doute impossible, ou alors la plus fugace qui soit, mais d’autant plus nécessaire.»
Jonathan Littell.
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7/10/2018