Injures et insultes
Appel à communication
Séminaire Questes (17 novembre et 15 décembre)
L’insulte et l’injure
Dans des sociétés médiévales reposant en grande partie sur l’honneur et la réputation (la fama), l’outrage que constitue l’injure peut-être un facteur de troubles aussi puissant que soudain. S’il suffit souvent d’un mot, d’un geste ou même d’un sous-entendu, l’affront n’en est pas moins lourd de conséquences : en témoignent les nombreux récits médiévaux, comme Erec et Enide de Chrétien de Troyes, dont l’intrigue est lancée par une insulte.
Qu’elle ait été proférée sous le coup de la colère ou de manière préméditée, voire répétée, qu’elle soit dirigée contre une personne, un groupe, une institution, voire directement à Dieu dans le cadre du blasphème, l’insulte met des mots (ou des gestes) sur une haine, un mépris ou un conflit préexistant, parfois latent ou intériorisé, qu’elle attise et qu’elle publie. L’insulte peut aussi servir de défi ou de provocation ouvrant la voie à la violence physique, comme lorsque deux armées en ordre de bataille s’invectivent l’une l’autre – manière de galvaniser les troupes tout en exaspérant l’adversaire, le poussant parfois à rompre le rang pour défendre son honneur. Ces épisodes viennent ensuite fleurir les chroniques, où l’insulte rapportée alimente le pittoresque et le comique tout en faisant valoir l’esprit ou la grossièreté des protagonistes.
L’injure est une atteinte à la renommée ; en termes bourdieusiens, elle affecte le « capital social » de la personne offensée, ses relations sociales au sein de son réseau, la confiance qu’on lui accorde – surtout quand elle est proférée en public. Lorsqu’elle n’est pas démentie, réparée, oubliée, la réputation d’infamie de l’injurié se construit et se diffuse de manière presque irréversible. En témoignent ces personnages célèbres qui portent l’injure jusque dans le nom qu’ils laissèrent à la postérité : Jean sans Terre, Charles le Mauvais ou encore Jean de Dunois, « bâtard d’Orléans ». Cela explique que même strictement verbale, l’injure ait été passible, lorsqu’elle était dénoncée, de poursuites judiciaires et d’amendes que les lois et coutumes fixaient avec précision.
Insulte et injure : les deux termes sont proches, phonétiquement et sémantiquement. Ils sont même parfois tout à fait interchangeables. Néanmoins, l’insulte nous semble insister davantage sur le mot ou sur le geste lui-même, tandis que l’injure renvoie à l’outrage en tant que tel, c’est-à-dire à la charge offensive de l’acte.
Le rapport entre insulte et injure nous semble ainsi toucher à la subjectivité de l’insulteur et de l’injurié, et poser les questions de la réception de l’insulte par son destinataire et de sa perception par les spectateurs ou ceux qui viendraient à en entendre parler. Car pour être efficace, l’insulte doit être perçue comme telle : sa cible doit s’y reconnaître et considérer que « la limite entre la mesure et la démesure du verbe et du geste » (Gauvard) a été franchie. Mais où passe cette limite, que définit un ensemble de codes sociaux et moraux ? Est-elle la même partout, pour tous et en toutes circonstances ? Si elle recoupe parfois celle, très mouvante, entre les différents registres d’une langue, toutes les insultes ne sont pas vulgaires : certaines, non moins blessantes, témoignent même d’une réelle recherche rhétorique qui rejaillit parfois favorablement sur la renommée de l’agresseur. Enfin, rappelons que toute insulte ou injure n’est pas nécessairement verbale : l’insulte, étymologiquement, renvoie à toute forme d’attaque, sans distinction.
Les participants à ce séminaire seront donc invités à s’interroger sur les liens entre la diversité des fonctions sociales de l’insulte et de l’injure, et la manière de les percevoir, de les rapporter et de les représenter dans les différentes formes de discours médiévaux.
Quelques axes d’études
⁃ Par quels mots désigne-t-on l’insulte et l’injure au Moyen Âge ? Peut-on déceler des stratégies de mise à distance pudique de l’insulte ? Peut-on signifier l’injure sans l’énoncer ?
⁃ Les représentations de l’insulte et de l’injure dans l’art pictural, voire dans la musique.
⁃ Injure et grossièreté. Dans quelle mesure les textes nous permettent-ils de saisir le niveau de langage ou de distinction d’une injure ? Les limites entre niveaux de langue étaient-elles aussi nettement perçues qu’aujourd’hui ?
⁃ Formes de l’injure : les mots, les gestes, les attitudes. Souvent, elle repose sur le sous-entendu, le non-dit. Comment l’historien peut-il percevoir l’insulte lorsqu’elle repose sur le ton même sur lequel la phrase est prononcée ?
⁃ Cela pose la question de la réception de l’injure : en tant qu’elle est un affront, un outrage, elle constitue une atteinte à l’honneur. Encore faut-il que le destinataire se sente visé par elle, qu’il s’y reconnaisse et s’y identifie.
⁃ Comment réagir à une injure ? La dénoncer, c’est se donner les chances d’obtenir réparation, mais c’est aussi la faire connaître.
⁃ Conséquences de l’injure sur la vie sociale de la victime, mais aussi sur celle de l’agresseur. L’injure appelle réparation, et même une fois que réparation a été faite, comment faire oublier l’affront ?
⁃ L’injure peut viser un individu, mais aussi un groupe, voire une institution. Cela ne l’empêche pas d’être prise personnellement par les individus qui le composent ou la représentent. Leur réaction à l’insulte devient ainsi un révélateur de leur attachement ou de leur identification au groupe.
⁃ De l’insulte proférée de manière impulsive, sous la colère, à l’injure mûrement réfléchie et lancée dans le but de défier un rival, elle peut avoir plusieurs fonctions.
Conditions de soumission
Cet appel à communication s’adresse aux étudiants de master, de doctorat et aux jeunes chercheurs en études médiévales, quelle que soit leur discipline. Les propositions de communication, limitées à 300 mots, seront accompagnées d’une mention du sujet de mémoire et/ou de thèse du candidat. Elles devront être envoyées à Nicolas Garnier (niegarnier@gmail.com) ou à Tobias Boestad (tobias.boestad@gmail.com) avant le 13 octobre 2017, en vue d’une présentation de vingt-cinq minutes durant l’une des deux séances du séminaire, qui se tiendront le 17 novembre et le 15 décembre 2017, et d’une publication dans la revue de l’association (www.questes.revues.org). En fonction du nombre de candidatures, une troisième séance le 19 janvier 2018 pourra être envisagée.
Bibliographie indicative
Beaumatin, Eric et Garcia, Michel, éd., L’Invective au Moyen Âge : France, Espagne, Italie : actes du colloque des 4-6 février 1993 organisé par l’URA 1036 (Paris IV), l’Ecole normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, le Centre de recherches sur l’Espagne médiévale (Paris III), in Atalaya, 5, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1995.
Bourdieu, Pierre, « Le capital social. Notes provisoires », Actes de la recherche en sciences sociales 31, 1980, p. 2-3.
Delumeau, Jean, Injures et blasphèmes, Paris, Imago, 1989.
Casagrande, Carla et Vecchio, Silvana, Les Péchés de la langue : discipline et éthique de la parole dans la culture médiévale, trad. par Philippe Baillet, Paris, Édition du Cerf, 1991.
Gonthier, Nicole, « Sanglant Coupaul ! » « Orde Ribaude ! ». Les injures au Moyen Âge, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2007.
Hoareau-Dodinau, Jacqueline, Dieu et le roi : la répression du blasphème et de l’injure au roi à la fin du Moyen Âge, Limoges, PULIM, 2002.
Huston, Nancy, Dire et interdire : éléments de jurologie, Paris, Payot, 1980.
Lagorgette Dominique « Les syntagmes nominaux d’insulte et de blasphème : analyse diachronique du discours marginalisé », in Thélème, éd. Amalia Rodriguez-Somolinos, Madrid, Université Complutense, pp. 171-188, 2003.
Lagorgette Dominique (éd.), Les Insultes en français : de la recherche fondamentale à ses applications (linguistique, littérature, histoire, droit), Chambéry, Université de Savoie, coll. « Langages », 2009.
Leveleux-Teixeira, Corinne, La parole interdite. Le blasphème dans la France médiévale, XIIIe-XVIe siècles : du péché au crime, Paris, 2001.
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29/09/2017