Laurent Nunez
Dans le cadre de la réorganisation du renseignement français voulu par Emmanuel Macron, Laurent Nuñez a été nommé successeur de Patrick Calvar à la tête de la DGSI le 7 juin dernier. Youpi. C’est pas de lui dont il est question ci-dessous…
On ne saura jamais pourquoi les écrivains écrivent. Alors cet essai se penche sur les autres écrivains qui médisent de l’écriture et qui voudraient s’en passer. «La littérature n’est pas mon souci cardinal. J’en ai malheureusement de plus grands. J’en ai heureusement de plus profonds», note Valéry. Artaud répond : «Toute l’écriture est de la cochonnerie. Les gens qui sortent du vague pour essayer de préciser quoi que ce soit de ce qui se passe dans leur pensée, sont des cochons.» Cioran ajoute : «Que la littérature soit appelée à périr, c’est possible et même souhaitable.» Essayez, fouillez votre bibliothèque : ils sont partout, ceux que Paulhan appelait les Terroristes, et qui sont les dictateurs de l’affreux silence moderne. Mais pourquoi sont-ils si menaçants ? Que leur répondre ? Ou faut-il même les écouter ?
Approchez-vous. Regardez bien ; c’est mieux qu’un roman. C’est une étrange guerre. C’est un très beau combat. À gauche, il y a Cioran, Valéry, Bataille, Artaud et la plupart des surréalistes… À droite, on aperçoit Paulhan, Caillois et Borges, Blanchot et Mallarmé… Profitez-en : pendant la bataille vous ne pourrez plus les distinguer. Les bannières sont levées. Roland Barthes rassure les uns – sans trop désavouer les autres. Des Forêts est assis, qui le regarde passer : n’importe où il s’ennuie. Enfin l’arbitre lève la main pour ouvrir le combat. Il semble très jeune, ses yeux sont très bleus, et l’on ne dirait pas qu’il a plus de cent ans. Il a deux trous rouges au côté droit.
Laurent Nunez est né le 20 mai 1978 à Orléans. Il vit à Paris. Les Écrivains contre l’Écriture est son premier essai. À partir des conclusions qu’il en a tirées, il écrit son premier roman.
C’est l’autobiographie d’un jeune homme d’aujourd’hui, si peu sûr de sa voix qu’il choisit d’en emprunter quatre autres pour raconter sa vie : celle de Quignard pour tenter de comprendre l’amnésie frappant un amour de jeunesse, celle de Duras pour dire la recherche effrénée de l’amour, celle de Proust qui, sur le canevas de La Recherche du temps perdu, relate les péripéties d’une vie entière, de l’enfance jusqu’à l’avènement de l’écriture ; enfin celle de Genet pour dire l’incapacité à aimer.
C’est l’histoire d’un garçon qui n’arrive pas à aimer, qui ne comprend rien au monde et qui décide d’écrire cette incompréhension. C’est l’histoire de Laurent qui devient écrivain.
“ Me servir de ces écrivains comme d’une couverture, pour me cacher, pour avancer vers Fanny, vers Cédric, vers Etienne, et comme ces pompiers que j’imaginais perdus dans l’incendie d’une grande bibliothèque, cette couverture servirait à ce que moi-même je ne prenne pas feu » L. N
Voici le monde moderne : narcissisme des réseaux sociaux ; interdiction d’être en vacances de soi ; injonction ridicule : « Sois toi-même ! » Si je m’écorchais vif : trois écrivains qui ont pris congé d’eux-mêmes. Arthur Rimbaud a fui l’Europe. Victor Hugo a choisi l’exil. Jules Laforgue s’est absenté de son œuvre.
S’éclipsant lui-même de son livre, Laurent Nunez cède la parole à trois philosophes de l’effacement, Roland Barthes, Jacques Derrida, Maurice Blanchot, pour parler à sa place de chacun de ces auteurs. Ce brillant jeu littéraire sur le je littéraire nous parle du courage de ne plus considérer son moi comme essentiel et, bien au-delà, de la place de l’écrivain dans la société.
« Aujourd’hui, maman est morte. »
« DOUKIPUDDONKTAN, se demanda Gabriel, excédé. »
Voilà deux célèbres premières phrases de livres ô combien célèbres. Elles ouvrent L’Étranger et Zazie dans le métro. Ce livre en contient quinze autres (plus deux interludes) que Laurent Nunez examine mot après mot. Tout ce que l’on peut deviner d’une œuvre, et de son auteur, n’est-il pas contenu dans « sa » première phrase ?
Aussi instructif qu’ironique, aussi passionnant que savant, ce livre nous parle plus que des livres, il nous parle de l’amour, de la séparation, de la perte, de la vie même. Italo Calvino avait écrit Pourquoi lire les classiques ?, voici le « comment (re)lire les classiques ? » des temps nouveaux.
Laisser un commentaire
30/07/2017