En vrac [2]
C’est plus simple en ces périodes compliquées.
On commence avec les amis. Jean-Bernard Pouy et son Casse-pipe intérieur chez Joseph K. : » Il y a une ligne de force souterraine qui m’a bouffé le cerveau depuis quelque temps : quand mon père est décédé, je me suis mis à écrire (à trente-cinq ans) ; quand ma mère l’a suivi (huit ans après), je me suis décidé à devenir père. Étonnant, non ? Je n’adhère pas aux diktats générés par cette vérité sous-jacente, mais je me méfie toujours.
L’essentiel, ici, est d’avouer que l’on ne sait pourquoi l’on se retrouve à aligner des mots, des phrases, que l’on se jette, tête baissée, dans une production tous azimuts de textes disparates. Bien sûr, tout au début, l’on m’a un peu forcé la main. Mais très vite, j’ai réalisé que j’écrivais beaucoup et très vite sans me préoccuper de l’image que je pouvais donner. Certes en imposant, avec opiniâtreté, une donnée précise, celle de revendiquer plutôt le statut d’auteur que celui d’écrivain. Ce dernier, je ne le hais point, il peut continuer à vaquer de rentrées littéraires en sauteries foie gras à Brive. Il est libre et fait ce qui lui semble bon. Ce que je supporte moins c’est qu’il se plie la plupart du temps aux exigences d’un paradigme puissant, dans nos contrées, le fameux mythe, même pas barthésien, de l’écrivain, celui qui souffre, qui maigrit, qui grossit, qui boit, qui devient fou, qui pleure quand il n’écrit plus, qui voyage pour se perdre, qui fait chier son entourage, qui a toujours un chat, qui écoute Mozart et qui avoue en permanence que c’est dur, inhumain, surhumain, qu’on y perd son âme, qu’écrire peut mener au meurtre de soi.
Peut-être.
Pas moi.
Romancier, nouvelliste, scénariste, directeur et créateur de collections – «Le Poulpe», «Pierre de Gondol» ou «Suite noire», notamment –, Jean-Bernard Pouy est l’une des figures majeures du roman noir français contemporain. Inventif, il a publié une cinquantaine de romans, dont douze à la «Série Noire». Amateur de contraintes oulipiennes et chroniqueur de l’émission «Les Papous dans la tête» (France Culture), il aborde les sujets les plus divers – politique, sport, musique, cinéma, littérature populaire ou non… – dans des articles qu’il publie depuis plus de trente ans.
Dans Le casse-pipe intérieur, JB a rassemblé les plus marquants, des plus anciens – «Le casse-pipe intérieur» (1983) – aux plus récents, jouant avec les mots et s’amusant des « choses » de son temps. JB Pouy a obtenu en 2008 le Grand Prix de l’Humour noir pour l’ensemble de son œuvre.
Nous vous parlions récemment de Salomé à propos du Cabaret du cœur fendu. Retrouvez le texte éponyme d’Oscar Wilde accompagné du Portrait de Dorian Gray aux éditions Chêne.
Le Portrait de Dorian Gray et Salomé (1891) sont les deux œuvres magistrales d’Oscar Wilde. La première est un roman adapté plusieurs fois pour les petits et grands écrans. La seconde est une pièce de théâtre écrite en français puis traduite en anglais. Sarah Bernhardt devait en interpréter le premier rôle à Londres avant qu’elle ne fût interdite. Comme l’ensemble de l’œuvre de Wilde, ces deux œuvres ont fait scandale dans la très puritaine société victorienne. À l’occasion de l’exposition Oscar Wilde au Petit Palais (19 octobre 2016-15 janvier 2017), cet ouvrage permettra de redécouvrir ces deux classiques de la littérature victorienne en un seul volume illustré des gravures des premières éditions.
On poursuit avec Frigyes Karinthy qui, selon La Part Commune qui vient de rééditer plusieurs de ses nouvelles sous le titre Propagande, est incontestablement l’un des maîtres de l’humour hongrois, qui s’inscrit dans la tradition de Rabelais, Voltaire, Swift ou Twain. Ses traits d’esprit sont ravageurs, son humour absurde et son ironie caustique. Il n’est pas rare qu’un brin de folie s’infiltre dans sa métaphysique corrosive du quotidien pour mieux renverser les conventions. Les cinq nouvelles rassemblées dans ce volume sont toutes de la même veine, où Karinthy, sur fond d’un fantastique mordant, laisse percer sa conscience politique résolument humaniste, qu’il raille les travers de la politique vouée au populisme et à la réclame, thématique, ou qu’il développe la théorie dite des cinq degrés de séparation qui constitue le principe même des réseaux sociaux. Un très bon site lui est consacré où vous retrouverez nombre de ses textes : Chroniques parues dans la presse
principalement traduits en français par Judith et Pierre Karinthy, Françoise Gal, Moshe, Judith Zuckerman (mais aussi Agnès Dukesz, Georges Kassaï, Ladislas Gara et François Gachot), ainsi que les préfaces à certains de ses romans et nombre d’analyses…
Et puisque nous y sommes, chez Cambourakis :
Fiction échevelée, roman d’un onirisme luxuriant, foisonnant de personnages, il serait bien difficile de résumer Danse sur la corde. Ainsi le guérisseur et hypnotiseur Rudolf Jellen, le spirite Darman, le dictateur Raganza, apparaissent tour à tour, avatars d’un seul héros à l’identité changeante. Plus fuyantes encore, plus insaisissables, les figures féminines qui traversent le livre, séductrices ou maternelles, innommées, nimbées d’une blancheur symbolique, femmes-papillons, sorties de chrysalides, semblent surgir d’un monde fantasmatique archaïque. On se souviendra qu’à l’époque, les recherches freudiennes mettaient en ébullition le petit cercle des écrivains de Nugyat, fréquenté par Karinthy…
Poème monstrueux, Danse sur la corde s’affranchit de la narration rationnelle pour rejoindre la logique du délire et du rêve. L’écriture tangue sur un fil, au risque de la folie : Karinthy signe là un de ses textes les plus audacieux et les plus inventifs, l’un de ses plus brillants certainement.
Frigyes Karinthy, dans ce petit livre d’humour – son oeuvre la plus populaire aux côtés de ses caricatures littéraires (encore inédites en français) et de son fameux Voyage autour de mon crâne –, se représente confronté à son moi de collégien, à la soif d’absolu de son double adolescent. L’écrivain ouvre grand les yeux sur ce que sa vie d’alors a pu contenir de gaieté, d’étrangeté, d’espoirs et de chagrins. Au tableau ! présente ainsi une série de scènes – le plus souvent drolatiques – de la vie quotidienne à l’école : le retard, la bonne et la mauvaise copie, l’interro surprise, le fou rire, l’irrévérence, le bulletin scolaire, l’exploit sportif, le mensonge, le mystère total des filles : « Je sens qu’un jour je comprendrais. »
Karinthy, superposant magistralement les plans temporels, le temps passé du récit – l’enfance – et le temps présent de l’énoncé – l’âge adulte –, entoure son livre d’un halo de nostalgie pénétrant. Usant d’un langage tendre comme l’enfance sans jamais être enfantin, d’un humour profondément humain adossé au sens tragique de l’existence, il revisite cette émouvante mythologie universelle. L’identification est d’une rare justesse.
Un quotidien britannique lance auprès d’intellectuels européens de tout poil une grande enquête sur la nature de l’au-delà : Frigyes Karinthy, piqué au vif de ne pas avoir été sollicité, rédige librement sa réponse, une vision originale et jouissive du royaume des cieux.
Merlin Oldtime, grand reporter aux capacités d’investigation hors normes, se livre à un incroyable reportage, récit au jour le jour de ses passages à travers les cercles successifs de l’au-delà en compagnie de Denis Diderot, l’encyclopédiste de l’ère nouvelle.
Karinthy fait une fois de plus la preuve de son imagination débordante : dans cet au-delà qui emprunte les formes d’un passé éternisé, Merlin Oldtime croisera toutes sortes de personnages, de Jules César au marquis de Sade, d’Archimède à Hélène de Troie. Farce métaphysique extravagante, Reportage céleste bouscule et questionne en toute légèreté les certitudes et les valeurs d’ici-bas.
Paru initialement en 1934.
Où l’on retrouve, sous la fine plume hongroise de Frigyes Karinthy, l’ami Gulliver revenu depuis belle lurette de sa première aventure swiftienne à Lilliput : enrôlé au service de sa Majesté, précipité en plein conflit mondial, miraculeusement transporté au pays des Sollasis, confronté à un peuple d’êtres inorganiques au langage purement musical, Gulliver prendra lors de ce cinquième voyage la mesure de la disharmonie qui règne entre les hommes.
Publié en 1916, ce court récit de science-fiction ironique témoigne une fois de plus du génie visionnaire de Karinthy, de son goût pour les spéculations morales et métaphysiques rehaussées des couleurs d’une inépuisable fantaisie. Farémido frôle l’air de rien de très sérieuses questions, celle de la nature du langage et de la musique, de notre rapport à la technique, ou de la propension de l’humanité à l’auto-destruction… Sur un mode résolument désinvolte, comme un pied de nez aux grimaces de l’Histoire.
Et encore pour ceusses qui aiment fouiller chez les bouquinistes :
- Danse sur la corde, Presses Orientalistes de France, 1985.
- M’sieur, Editions In Fine : V&O éd., 1992.
- Capillaria ou le pays des femmes, Editions de la Différence, 1994.
- Je dénonce l’humanité, Viviane Hamy, 1996.
- Le Cirque et autres nouvelles, Editions Ombres, 1997.
- La ballade des hommes muets, Editions des Syrtes, 2005.
- Voyage autour de mon crâne, Denoël, 2006.
Pour conclure et à l’adresse de celles et ceux qui ne goûtent guère nos vieilleries mais qui aurait lu ce trop long article jusqu’ici (et ce n’est pas très sympa pour Pouy), un livre que nous n’avons pas (encore) lu : Quand la vie était à nous de Marian Izaguirre chez Albin Michel :
« Quand la vie était à nous »… Lola regrette le temps où son existence était peuplée de promesses et d’illusions, de livres et de discussions enflammées, d’amour et de projets pour bâtir une Espagne démocratique. L’espoir de 1936.
Quinze années ont passé et ses rêves se sont envolés. Il ne lui reste de cette époque, à elle et à son mari Matias, qu’une petite librairie dans les ruelles sombres d’un quartier de Madrid. C’est dans ce modeste lieu de résistance culturelle que Lola fait la connaissance d’Alice, une anglaise hantée par son passé et particulièrement par la mort de l’homme qu’elle aimait.
Intriguée par un livre en vitrine, Alice entraîne Lola dans une lecture singulière et bouleversante : La fille aux cheveux de lin, l’histoire de Rose, anglaise comme elle, soupçonnée d’être la fille du duc d’Ashford… Une amitié sincère voit le jour à mesure que les deux femmes découvrent ce livre qui va lier leur destin à jamais.
Des paysages de Normandie à l’Angleterre de la première guerre mondiale, du Paris des années folles à l’Espagne des Brigades internationales, la romancière Marian Izaguirre nous entraîne dans un véritable voyage à travers la littérature, vibrant hommage à la force des mots.
Et René Binamé jouera à Lille le samedi 12 novembre à l’occasion de Bloque ton week-end…
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8/11/2016