Contes et récits des peuples moïs et annamites
« L’histoire de nos colonies, surtout dans l’Extrême-Orient, n’est que douleur, férocité sans mesure et indicible turpitude. J’ai su des histoires à faire sangloter les pierres. Mais l’exemple suffit de ce pauvre brave homme qui avait entrepris la défense de quelques villages moïs, effroyablement opprimés par les administrateurs. Son compte fut bientôt réglé. Le voyant sans appui, sans patronage d’aucune sorte, on lui tendit les simples pièges où se prennent infailliblement les généreux. On l’amena comme par la main à des violences taxées de rébellion et voilà vingt ans qu’il agonise dans un bagne, si toutefois il vit encore. Je parlerai un jour avec plus de force et de précision de ce naïf qui croyait aux lois. » (Léon Bloy, Jésus-Christ aux colonies.) Cet homme, ce naïf, c’est Georges Bloy, le frère de l’écrivain, qui, après avoir bourlingué dans la toute jeune colonie française de Cochinchine, finit sa vie au bagne, en Nouvelle-Calédonie, où il meurt en 1908 à soixante ans. Né en 1848, il s’engage à seize ans dans la Marine et sa première croisière le conduit en Cochinchine. Il y occupe plusieurs emplois : marin, secrétaire, cantonnier, gardien de pénitencier… D’un tempérament violent, il ne tarde pas à avoir des ennuis avec la justice et connaît la prison à maintes reprises. Peu fait pour la vie citadine, il s’établit dans les pays moïs. Il est chasseur ; le gibier est alors assez abondant pour qu’il en tire des revenus. Mais son caractère emporté devait compromettre sa vie de colon. Il entre en conflit avec l’administration française et avec les autorités indigènes. Il est condamné à un an de prison pour vol et outrages. Il purge sa peine en France. Il retourne à Saigon en 1882. Aux prises avec un chef de canton qui, en son absence, s’est approprié tous ses biens, Georges Bloy n’hésite pas à mettre encore en cause les autorités annamites, dénonce toujours les exactions commises et la complicité de l’administration coloniale, prend le parti des peuples moïs. Il est condamné à six ans de travaux forcés. Envoyé en Nouvelle-Calédonie, il y demeure jusqu’à sa mort. Georges Bloy fut l’un des premiers Occidentaux à observer les peuples moïs et annamites qu’il côtoya de très près et à recueillir leurs mythes. Il rédigea des récits tirés de légendes et superstitions populaires, de scènes de chasses au tigre, à l’éléphant, au buffle sauvage ou inspirés des mœurs de ces sociétés : commerce, agriculture, accouchements, jeux, vendettas, longueur des ongles, etc. Ces écrits, corrigés par Léon Bloy, sont jusqu’à ce jour restés inédits.
Illustrations extraites de Technique du peuple annamite d’Henri Oger.
Laisser un commentaire
15/02/2016