La Belle Lurette
Le 21 mai dernier, la librairie La Belle Lurette organisait une soirée hommage à Henri Calet (de son vrai nom Raymond-Théodore Barthelmess avant sa fuite, grâce à des amis anarchistes, pour Montevideo) à l’occasion de la parution d’un inédit, Huit quartiers de roture, chez le Dilettante, en compagnie du dit spécialiste Jean-Pierre Baril. Pour accompagner cette soirée, la petite librairie offrait une belle vitrine avec différents écrits de Calet ( La Belle Lurette, 1935, Le Bouquet 1945, Trente à quarante 1947, Le Tout sur le tout 1948, Monsieur Paul 1950, Les grandes largeurs 1952, Le Croquant indiscret 1956, Peau d’ours 1958, Acteur et témoin 1959), mais aussi différents titres d’Emmanuel Bove, Jean Forton, Raymond Guérin, et surtout de Georges Hyvernaud, dont évidemment La peau et les os et Le Wagon à vaches mais également Lettre anonyme, les Carnets d’Oflag, et Feuilles volantes, tout ça reparu aussi chez Le Dilettante à la fin des années 90…
La Belle Lurette, c’est au 26 rue Saint-Antoine, dans le quatrième arrondissement de Paris.
« Les cabinets, ici, c’est une baraque badigeonnée d’un brun ignoble, avec une porte qui ne ferme pas et des vitres cassées. Seize sièges là-dedans, huit d’un côté, huit de l’autre. Et des traces de merde sèche sur les sièges. On s’installe côte à côte, dos à dos. Seize types sur leurs seize sièges, alignés, identiques, pareillement attentifs au travail de leurs boyaux. Chacun a une feuille de papier à la main, comme une demoiselle qui s’apprête à chanter dans un salon. Ils s’efforcent ensemble, mornes, soucieux, confondant leurs bruits et leurs odeurs. Et d’autres, debout contre la paroi goudronnée, pissent. Un petit ruisseau d’urine mousseuse coule à leur tour en causant de leur famille ou de leur constipation. Fraternité des barbelés. Fraternité dans la puanteur et la flatulence. Tout le monde ensemble dans un gargouillis de paroles, d’urine et de tripes. De temps en temps d’une main son pantalon, de l’autre, soigneusement, se torche. Au suivant. On se bouscule autour du trou. On proteste : Grouillez-vous un peu, bon dieu. J’aimerais autant parler d’autre chose de choses claires. Parler des claires jeunes filles, ou d’un regard de vieille dame, ou d’un peuplier au bord de la route. Parler d’un poème, d’une écharpe, d’un tableau de Matisse. Mais tut cela n’existe plus. C’est fini. Il n’y a plus de couleurs, de feuillages ni de regards. Tout a été englouti dans une catastrophe informe. Tout est foutu. Il n’y a plus, au milieu d’un univers détruit, que cette baraque où l’on se soulage en tas. Tout est vide et mort. »
La peau et les os, Georges Hyvernaud.
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26/05/2015