L’éclat
Paraissent ce mois-ci aux éditions l’Eclat, dans la collection L’éclat/poche, deux rééditions de Philip. K. Dick et en mai celles de María Zambrano et Carlo Michelstaedter, texte important. On rappelle aussi le bouquin de Bouveresse sur la demande philosophique.
Jacques Bouveresse, La demande philosophique
Que veut la philosophie et que peut-on vouloir d’elle?
À l’égard de ce que trop d’exemples récents autorisent à appeler les vantardises ou les fanfaronnades de la philosophie, notre époque semble hésiter constamment entre la crédulité et l’admiration naïve, l’indulgence sceptique et amusée et le mépris et le ressentiment nés de la déception ; et elle passe sans transition et avec une rapidité déconcertante de l’une de ces attitudes à son contraire. Notre estimation de l’importance de la philosophie et des grands philosophes est, de façon générale, beaucoup moins rationnelle qu’on ne pourrait l’espérer et je ne trouve pas scandaleux de suggérer à la philosophie, qui se plaint habituellement plutôt d’être ignorée et méprisée, de se demander également de temps à autre ce qu’elle fait réellement pour justifier la considération très réelle et parfois excessive dont elle bénéficie. On peut craindre que l’attitude du public envers elle ne continue à osciller indéfiniment entre l’attente déraisonnable et la désillusion complète, aussi longtemps que nous ne serons pas parvenus à une appréciation un peu plus correcte de la nature exacte de la demande philosophique et des chances que la philosophie a de réussir à la satisfaire.
La demande philosophique est la version intégrale de la leçon inaugurale de la chaire de philosophie du langage et de la connaissance du Collège de France, prononcée le 6 octobre 1995.
La persuasion et la rhétorique est, on ne craint pas de l’affirmer, un cas unique dans l’histoire de la philosophie. Carlo Michelstaedter (1887-1910) l’écrivit à 23 ans et se donna la mort le lendemain même de l’achèvement de ce qui devait être sa maîtrise de philosophie.
«Moi, je sais que je parle parce que je parle, mais que je ne persuaderai personne.» C’est ainsi que Michelstaedter s’adresse à ses professeurs dans la préface de ce ‘travail universitaire’ inconvenant, qui se proposait d’étudier les concepts de persuasion et de rhétorique chez Platon et Aristote. Il échappe ainsi a tout exposé systématique pour suggérer une «version du monde», et nous offre une œuvre absolument inclassable. Persuasion impossible du fait que la vérité pèse infiniment et que ce poids la rend dé-pendante. Rhétorique qui occulte, à travers un appareil de mots, de gestes, d’institutions, cette impossibilité d’atteindre la persuasion. Entre Platon et Aristote, la philosophie n’offrait pas d’autre alternative au jeune Michelstaedter que celle d’un revolver qui le figeait dans un instant éternellement présent, — celui d’une œuvre brillante, brûlante même, et que l’Italie consacre comme l’une de ses plus extraordinaires réalisations.
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22/04/2015