ChériBibi #9
Chéribibi est typiquement le genre de journal qu’on aimerait trouver en garde-à-vue pour passer nos 24, 48 ou 96 heures peinards, entre deux insultes à l’encontre de la maréchaussée, une promenade chez l’OPJ chez qui on a rien à déclarer ou aux chiottes histoire de plus avoir envie de pisser ou chier pour le mois à venir. Soit dit en passant, je préfère préciser que c’est une blague : paraîtrait, même si c’est difficile à admettre, que des citoyennistes radicaux ou mous du genou nous lisent (… sans déconner ?). Faudrait pas que ceux et celles qui n’ont rien d’autre à foutre que de réformer le vieux monde se mettent en tête de proposer un partenariat avec les comicos pour faire entrer le Chéribibi en geôle histoire de les humaniser. C’est fou ce que les gens ont des idées à la con quand il s’agit de formuler les premières mesures, qu’elles soient citoyennes, donc, ou révolutionnaires. Bref.
Nous on rêve d’une bonne vieille gardav’ pour avoir enfin le temps de nous immerger dans le nouveau Chéribibi spécial Police Menottes Prison qu’on aurait réussi à planquer pendant la fouille – on vous dit pas comment -, avec un geôlier à insulter sous le coude, un mur à disposition pour graver deux trois conneries faussement politiques et une bonne vieille assiette de boulgour aux légumes du soleil pour nous sustenter. Ça manque de binouze, voire de Perrier, diront certains, certaines, mais comme le marmonne le porte clés « c’est pas le club med’ ici ! ». C’est pas faux, d’ailleurs si tu pouvais dire à mon voisin de cellule de fermer sa gueule, j’arrive pas à lire. La chose dite, bâtard, j’ouvre le sommaire, caracho comme d’habitude, histoire d’oublier tout autant ce pourquoi je suis là que la couverture qui fait mal aux yeux (pas celle pleine de pisse qui git dans le coin de la cellule margoulin… celle du Chéribibi !). Disons qu’on n’est pas trop sensible au côté graphique du bordel et il n’y a bien que le papillon qui nous console, en souvenir de l’émission du même nom. Mais bon, on peut pas faire que des couvertures qui déchirent, sans compter que l’intérieur est toujours aussi michto t’as vu avec ses 24 pages couleur sur 90 superbement composées (et imprimées, big up le ravin !).
Comme on est un peu con, on commence par l’interview exclusive de Serge Gainsbourg, dont on a un peu rien à foutre, mais qui, d’après notre rédacteur sans chef, l’a bien fait à l’envers à la presse bourgeoise nécrophage et spectaculaire marchande. Une rencontre fortuite dans le RER C avec Michel Narbonne, puis avec le photographe Marc Pataut, donne un document improbable où on apprend pas grand chose sinon que Gainsbourg aimait Rimbaud, Baudelaire, Huysmans et les écrivains de la seconde moitié du dix-neuvième siècle (ce qui n’est pas vraiment un scoop non plus), mais aussi, c’est vrai, qu’il kiffait Taxi Driver, Vol au dessus d’un nid de coucous et Délivrance. L’entretien, qui reste particulièrement singulier au regard des autres trucs qu’on a pas lu, devait d’abord paraître dans Le Soldat, un journal pour le droit des troufions. Du coup c’est marrant de lire ça avec des photos du chanteur, menottes au poings dans le commissariat d’Aubervilliers. Le tout est sympathique d’autant que la bafouille est décontractée mais ça reste à nos yeux au beurre noir relativement anecdotique, d’autant que le comico, c’est pas vraiment exotique, non ?
D’ailleurs, pour oublier l’odeur de la geôle, on préfère carrément fourrer notre zen dans l’entretien croisé avec Hafed Benotman et Jean-Marc Rouillan, profitant d’être reclus pour verser quelques larmes. La matonnerie n’y est pas pour rien dans la mort d’Hafed, il faut bien le dire, ce qui donne un goût assez particulier à cet entretien posthume (un de plus, faudrait penser à se cotiser pour marabouter cette revue aux tendances franchement psychopompes). Nous sommes vraiment très heureux de retrouver sa verve et son sourire dans les pages du Chéribibi, car il n’y a rien de tel que de le lire ou de l’écouter quand on se coltine les chtars ou les matons, pour reprendre confiance en soi et en l’humanité, et qu’au final c’est un bel hommage – et dessert – à l’ami et au camarade qu’il était pour tant de personnes à qui il manque amèrement aujourd’hui. Nique l’arlouche et nique la taule. Vive Hafed ! Voilà ce qu’on en dit, le cul tanké sur le béton de la cellule ou sur les bancs de la prison sociale.
C’est pas vraiment avec les chroniques de squeuds ou de fanzines qu’on se console (il y en a vraiment trop peu, seule vraie déception de ce numéro), mais ça permet de faire une petite pause, après s’être torché avec les pages du dernier Schnock et avant de se fader l’entretien avec Jello Biafra, ex-chanteur des Dead Kennedy’s, plus volubile au micro de Daniel que chez Télérama, ça va sans dire. L’histoire de cette interview, une fois n’est pas coutume, est rocambolesque mais pour le coup, elle n’est pas du tout anecdotique (l’interview, pas l’histoire) et c’est avec intérêt qu’on lit celui qui « marche sur la corde raide entre militantisme politique et décadence rock’n roll » et qui incite les punks ricains à voter (?) Ceci dit, point trop n’en faut des états-unis : c’est avec un certain soulagement qu’on fait vite teuf un petit détour par la soul nippone et l’histoire du punk au Japon en compagnie de Julien Sévéon, ou qu’on lit une petite interview de Dawn Penn, la chanteuse du terrible You don’t love me. Pour le reste, on a perdu assez de crédibilité skin en portant des shorts pour dire qu’on s’en carre de Judge Dread, au mieux, on danse dessus, bien dessus. Doc, bretelles et porte-jarretelles… ouais, ouais… On préfère encore le Judge Dredd malgré notre aversion pour la BD (sauf le respect de Verminax, Gomé, et de Nina Bunjevac), c’est dire.
Niveau cinéma, on aime bien le ouaïstern et les films de Joë Hamman tournés en Camargue autour de 1910 (mis en musique en direct et remis en perspective par Yzavé lors d’une truculente conférence ciné-concert). Mais on préfère la quatrième partie de Délivrez-nous du mâle avec cette fois, un topo (Jodorowski n’a rien à voir dans cette histoire) sur On l’appelle Scorpion, après une adresse bien sentie aux lecteurs misogynes et homophobes du canard (qui est un synonyme de journal, revue ou fanzine si vous avez perdu le fil…). Aussi étonnant que ça puisse paraître, nous n’avons jeté qu’un œil discret à ce qui jacte de littérature populaire, le titre du papelard sur Jehan Jonas nous causant peu (mais c’est assurément ce qu’on lira le plus prochainement), le fils de la haine, Caryl Chessman, pouvant bien patienter (sans mauvais jeu de mot pour celui qui a croupi dans les couloirs de la mort avant d’y être gazé), les bagnes d’enfants par Frank Sénateur ou le polar français d’après guerre et ses truands-écrivains par Gérard Lauve aussi, et réservant la lecture d’Au grè de ma blonde, la nouvelle de DPC (D comme déveine, P comme poisse, C comme calvaire), pour notre sortie de GAV, notre salut, ou le jugement dernier. On est content d’avoir signé l’article sur la chanson Cayenne de Parabellum en hommage au père Schulz qui a cassé sa pipe et aux copines tapineuses dont le rétablissement de la loi sur le racolage passif va précariser un peu plus le taf et on vous encourage toutes et tous, mauvais garçons et mauvaises filles, à lire la revue Chéribibi qui, si elle ne pousse pas au crime, bien que ça reste à prouver, nous accompagne plus qu’amicalement dans cette autre épreuve qu’est la case justice ou prison, corollaire de la rue pour les classes dites dangereuses ici, criminelles là, populaires partout. On connait la musique, autant que Daniel, c’est pour dire. Du coup (de matraque) offrons à la police qu’on aime – de loin – « du feu et une bonne bouteille » et dédicaçons cette lecture enthousiasmante à la mémoire de Lahoucine, Hakim, Ryad et tous les autres morts sous les coups des lardus et à leurs familles qui luttent contre les violences policières – autant dire contre la police tout court. All Chéri Are Bibi !
p.s : pas de GAV, Dieu nous en garde (autant dire que…), mais on a quand même fini par trouver le temps de lire l’article sur Jehan Jonas et la prose de notre DPC préféré. Et on regrette pas le voyage outre-atlantique, vu qu’elle nous parle cette foutue nouvelle. Évidemment, c’est nous prendre par les sentiments que de transformer le Dracula de Stoker en arme par destination. Et évidemment qu’on a déjà tous pensé à arrondir nos fin de mois en trainant nos sambas trouées au salon du livre ancien. Mais ce ne sont que des détails d’une histoire bien ficelée qui sent la cyprine, le foutre et le vécu, dotée, ça va avec, d’une langue fleurie. Tellement bien dotée d’ailleurs, qu’on enjoint le gaillard à s’atteler sérieusement à l’écriture – ce qu’il a déjà sûrement fait – comme il encourageait il y a quelques temps notre ami Moine à fanziner, ce qui ma foi est une très bonne idée. Pour l’heure, DPC-vous de lire Chéribibi (j’te valais bien un jeu de mot pourri sur ton patronyme). Nous on ferme la boutique.
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16/04/2015