Jef Klak [3]
C’est qui la tête à klak ?
Alors qu’on baragouinait dans un mauvais anglais, pas slang pour un sou, avec John King au festival En première ligne d’Ivry (oùske Daniel Chéribibi nous avait cordialement invité), nous assistions à l’apparition d’une toute nouvelle revue, toute d’argent vêtue, qui jouait des coudes pour de faux pour gagner sa place sur une des nombreuses tables de presse entre CQFD et Article XI. Le lendemain, alors que nous entamions la tournée des librairies parisiennes pour diffuser un peu de littérature surannée sur la capitale, on se rendit compte que la dite nouvelle revue, toute d’argent recouverte, était déjà partout où nous passions. Dans chaque librairie où on accueillait les Âmes, Jef Klak nous saluait goguenard, en bonne place dans la vitrine ou sur le comptoir. Dans chaque librairie où on rembarrait les Âmes, Jef Klak trônait sur les présentoirs, amusé de notre amateurisme. Partout où on allait, la nouvelle revue papier de “critique sociale et d’expériences littéraires” avec ses 304 pages en technicolor nous narguait de sa belle et implacable diffusion. Ouais. Du coup on a mis du temps à fourrer notre nez chafouin dedans. Mais quand même, le thème placardé en première page argentée nous intriguait et titillait notre intérêt pour les contre-allées du matérialisme… MARABOUT. Un poil envoûtant, on avoue. Et puis, à feuilleter la bête, on se disait que quand même y’avait du boulot là-dedans et surtout que les aminches du Ravin bleu assurait avec leur bécane. Bref, au bout d’un mois on lisait le sommaire, déconcertant de richesses profuses et l’ourse pleine de têtes connues de Martin Barzilai à Grégoire Chamayou jusqu’à Benoit Virot. On comprend mieux la bonne diffusion, assurée par Interforum. Et dans les remerciements, en vrac CQFD, L’Envolée ou la librairie Michèle Firk. Bref. Cette fois nous lisons. D’abord l’entretien passionnant avec une autre connaissance, Alèssi Dell’Umbria, intitulé « La tarantolata ne danse pas seule » sur Possession et dépossession dans l’ex-royaume de Naples (Propos recueillis par Ferdinand Cazalis et Damien Almar). Là, on se dit qu’on a eu du flair de ne pas en rester au clinquant à 16 balles de la couv’. On poursuit avec un texte intitulé Le naufrage de thésée, par Mickaël Correia sur les Techno-utopies et mythologies du transhumanisme : on est étonné de trouver un texte de cette obédience dans ces pages ma foi surprenante de diversité. La suite nous étonne moins avec les envoûtements de l’impression en relief de Bertrand Louart : La 3D était pipée. Ça nous rappelle évidemment les préoccupations pressantes d’Hors sol qui organise d’ailleurs une discussion sur le transhumanisme aujourd’hui, samedi 20 décembre, à 16h00 à la bouquinerie occupée L’Insoumise, 10 rue d’Arras à Lille. Bref, on change complètement, quoique, de sujet avec un voyage bien documenté dans les mondes extraordinaires d’Alan Moore, Punk, pop & Glycon, par Bruno Thomé. Une bonne introduction à l’auteur des comics phares que sont From Hell, La Ligue des gentlemen extraordinaires ou V pour Vendetta (et notre nette préférence pour le premier). Retour ensuite au thème central de la revue avec un autre entretien passionnant, « Les voix comme des messagères », avec Magali Molinié sur les mouvements d’entendeurs de voix (Propos recueillis par Ferdinand Cazalis et Julia Burtin Zortea). Et ça fait plaisir de voir abordé ce genre de thématique (oui oui, ceux et celles qui entendent des voix) dans une revue dite de critique sociale. On tombe enfin sur un texte qui nous déçoit un peu et dont le titre était prometteur La Cumbia n’est pas un diner de gala, qui reste ce qu’elle est, à savoir une chronique musicale, ma foi de bon aloi pour les néophytes. Mais en revenant quelques pages avant, on tombe sur une autre bonne surprise, O tempora, o mores, Traduction du journal portugais Público par Mickaël Correia d’un recueil de fragments sur la moralité de la machine par Gonçalo M. Tavares. Toujours dans la lignée antitech. Mais ça fait vraiment plaisir de lire cette traduction d’une revue portugaise. D’ailleurs, on enchaine avec une autre traduction, Géographies du drone, traduction de la revue anglaise de philosophie féministe et socialiste Radical philosophy, par Émilien Bernard d’un texte de Derek Gregory sur les quatre lieux d’une guerre sans frontières. Passionnant à lire en marge de La Théorie du drone, de Grégoire Chamoyou. On aime moins ce qui le précède dans la revue et qui la tirerait vers le mauvais journalisme, à savoir un manuel très graphique trouvé lors de la révolution égyptienne de 2011, « Garde ta position, ô Égyptien ! », traduit par Raphaël Kempf et Otman El Mernissi, et qui manque cruellement pour le coup de contextualisation. Mais ça plaira sûrement à beaucoup, nous n’en doutons pas. La Galerie de vigiles, Portraits par Gauz, pourrait aussi prêter le flanc à la même critique mais y échappe en donnant envie d’en lire davantage (Debout payé chez Le Nouvel Attila). Bref, ce sont les portraits éclairs de ses anciens collègues par un écrivain photographe et documentariste ivoirien devenu quelques mois vigile à Séphora et à Camaïeu. Les textes et chroniques tirés d’un Master de création littéraire animé par Olivia Rosenthal, Maylys de Kérangal et Dieter Hornig, à savoir Contrariétés par Benelie et Youri nouvelles hypothèses par Elitza Gueorguieva n’ont pas vraiment retenus notre attention. L’ombre de la faculté, peut-être. On se console avec un entretien radiophonique avec Jeanne Favret-Saada, intitulé « Être fort assez », sur La sorcellerie dans le bocage de Mayenne (Propos recueillis par Juliette Volcler et Yeter Akyaz) qui nous réconcilie avec l’universitaire. Jeanne Favret-Saada est l’auteur de l’excellent Les mots, les morts, les sorts. Très intéressant une fois encore. Tout comme l’entretien avec le cinéaste réalisateur James Benning à propos d’Unabomber, Chronique Ciné-persistances, 3m x 3,65m, par Nicolas Rey. Vous voyez comme c’est riche, d’autant qu’on ne vous a pas encore parlé du portrait de Majax, le magicien, ou de celui d’une cartomancienne berrichonne par Claire Féasson, d’un article sur la vie et l’œuvre d’un anarchiste alcoolique, Jaroslav Hasek, écrit par Ian Bone et traduit de la revue anglaise Strike ! par Émilien Bernard, un autre sur les leveurs de mal et l’ institution médicale dans le nord des Alpes, La liste est dans l’armoire, par Julia Burtin Zortea, quelques notes sur la série TV Les revenants, par Sébastien Navarro, une chronique sur les frasques endiablées du cabaret punk World/Inferno Friendship Society par Paulin Dardel, (tiens tiens, ça nous dit aussi quelque chose) intitulé Only anarchists are pretty ou des textes sur la prison avec Une brève histoire de ma vie par Philippe Lalouel et Prison à mort, Philippe Lalouel, une longue peine parmi d’autres par Raphaël Kempf. On en oublie plein d’autres, mais le sommaire est là, sur le site Jef Klak qui contient aussi de nombreux textes et qui permet de télécharger le CD audio livré avec la revue, plein de montages sonores assez intéressants eux aussi et autour des mêmes thèmes. Au final un des articles qui nous a le plus intéressé dans la revue est L’accouchement de lapins de Mary Toft, sur les archives rêvées d’un fait divers par Guillaume Normand, à savoir le cas d’accouchements par des femmes de lapins au XVIIIe siècle et qui résume assez bien l’esprit du canard à nos yeux… Et ouais, une vraie basse court, qu’on peut retrouver un peu partout, vu que la revue est partout ! Le prochain numéro parlera de bout de ficelles. Ce qui nous va bien. Bref, on fait partie de ceux et celles qui aiment les têtes à klak.
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20/12/2014