Les âmes d'Atala

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Censure rétrospective…

 

Le livre de Léon Bloy dans son édition 1906

Le 13 novembre dernier, le juge des référés de Bobigny, sur une plainte de la Licra, a ordonné la censure partielle du « Salut par les Juifs » de Léon Bloy. On croit comprendre la raison de cette condamnation : cette œuvre vient d’être rééditée en même temps que quatre ouvrages notoirement antisémites par un éditeur proche de l’extrême droite.

Cette décision de justice suscite l’étonnement et l’inquiétude en frappant une œuvre littéraire vieille de 122 ans et maintes fois rééditée sans avoir subi jusqu’à ce jour les foudres de la justice.

Léon Bloy n’est pas un propagandiste antisémite

En 1892, Léon Bloy publie « Le Salut par les Juifs » en réponse aux « élucubrations antijuives » d’Édouard Drumont, auxquelles il oppose son commentaire d’un passage de l’Évangile affirmant que « le Salut vient des Juifs ».

Contrairement aux autres auteurs condamnés par le juge de Bobigny (des journalistes et un industriel fameux), on n’a nullement  affaire, dans le cas de Bloy, à un propagandiste antisémite, mais à un écrivain habité par la foi, qui métamorphose l’histoire en fiction symbolique pour tenter de déchiffrer ce que Dieu réserve au genre humain. Bloy, dans ses œuvres historiques, joue des ressorts de l’analogie, s’emparant tour à tour de Christophe Colomb, de Jeanne d’Arc, de Marie-Antoinette, de Napoléon et du peuple d’Israël. Il opère ainsi des recréations qui tentent de saisir le mystère de notre rédemption, promesse inexplicablement différée à travers les siècles.

Dans « Le Salut par les Juifs », il adopte une démarche proche de l’ancienne scolastique visant à épuiser l’objection adverse avant de faire valoir en conclusion son propre point de vue. Il reprend en l’occurrence les lieux communs de l’antisémitisme avant de les balayer. La position qu’il défend dans son livre est claire : le peuple juif, affirme-t-il, joue un rôle éminent dans l’histoire, puisque de lui dépend le salut de l’humanité.

Un jeune juif républicain, Bernard Lazare, qui sera bientôt l’un des plus ardents défenseurs de Dreyfus, ne s’y est pas trompé en publiant le 16 octobre 1892 dans « L’Événement » un compte rendu du livre de Bloy intitulé « Un philosémite ».

Les circonstances de la publication ont primé sur le fond

Qu’un éditeur se livre aujourd’hui à une scandaleuse récupération du « Salut par les Juifs » ne justifie pas qu’on censure partiellement cette œuvre.

Bloy, pendant l’affaire Dreyfus, ne cessera de combattre l’antisémitisme, comme son journal et sa correspondance en témoignent. En 1910, il écrit encore à l’une de ses amies qu’être antisémite est le crime majeur des temps modernes, un crime qui a « comblé la mesure » avec l’affaire Dreyfus. Voici ce qu’il lui dit alors :

« On oublie, ou plutôt on ne veut pas savoir que notre Dieu fait homme est un Juif, le Juif par excellence de nature, le Lion de Juda ; que sa mère est une Juive, la fleur de la Race juive ; que tous ses ancêtres ont été des Juifs, aussi bien que tous les Prophètes, enfin que notre Liturgie sacrée tout entière est puisée dans les livres juifs. […] L’antisémitisme est le soufflet le plus horrible que Notre Seigneur ait reçu dans sa Passion qui dure toujours, c’est le plus sanglant et le plus impardonnable parce qu’il le reçoit sur la Face de sa Mère et de la main des chrétiens. »

On pressent que, dans cette affaire, les circonstances de la publication – les opinions de l’éditeur, l’effet de série provoqué par l’intégration du livre de Bloy dans un ensemble des pamphlets antisémites – ont prévalu sur le fond, comme a prévalu l’exploitation de certains passages coupés du mouvement général du livre.

« Le Salut par les Juifs » a été réédité en France en 2008 et en 2010 sans susciter d’action en justice [1]. Il a aussi été publié dans les années 1980 dans la collection 10/18 et figure en bonne place au tome IX des « Œuvres » de Léon Bloy, édité par le Mercure de France en 1969 et réimprimé en 1983.

Un dangereux précédent

Cette condamnation crée ainsi un dangereux précédent. Pourquoi ne pas censurer « Le Marchand de Venise » de Shakespeare, « Gobseck » de Balzac ou « L’Argent » de Zola pour leurs propos antisémites ?

 

Et pourquoi n’étendrait-on pas cette pratique à des œuvres marquées par d’autres formes de discriminations : faut-il caviarder les passages des « Femmes savantes » faisant injure aux femmes, ceux du « Mahomet » de Voltaire qui outragent les musulmans, ceux de « Sodome et Gomorrhe » où Proust donne une image dégradante de l’homosexualité ?

 

L’arrêt du juge de Bobigny, injuste pour la mémoire d’un écrivain, place une partie de notre patrimoine littéraire sous la menace d’un anachronisme judiciaire.

 

 

[1] Dans les Archives Karéline et à La Part commune.

 

Pierre Glaudes, publié le 21-11-2013 à 11h19 sur le site du Nouvel Observateur sous le titre : La justice épingle un livre réédité par Soral : un dangereux anachronisme judiciaire. Pierre Glaudes  est professeur de littérature à l’Université Paris-Sorbonne.

 

Un commentaire pour “Censure rétrospective…”

  1. le moine bleu 27 novembre 2013 à 20:09

    Rien à ajouter.
    Prendre le Salut par les Juifs pour un livre antisémite, faut vraiment être con. Ou s’appeler Alain Soral. Ce qui revient au même.

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26/11/2013

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