Alexandre Dumal
A l’occasion de la parution de NON ! de l’ami Charlie aux éditions de l’insomniaque, un petit hommage ému à Mich et Alias à travers l’entretien consacré dans l’interdit à l’auteur de « Je m’appelle Reviens ! ».
Alexandre Dumal s’écrit parfois AleXandrE Dumal. Je ne suis qu’à moitié d’accord. Parce que s’il fut braqueur à ses heures, cela n’empêche que “les criminels… ce sont les banquiers”, vérité indubitable figurant dans son polar autobiographique, Je m’appelle reviens, où il déclare aussi “A 18 ans, il n’est jamais trop tard, je m’étais débarrassé du grand carcan et de ses trois enfants : le travail, la famille et la patrie”. A ce niveau de lucidité, l’AXE Dumal apparaît plutôt comme la voie de la sagesse et c’est surtout du respect qu’inspire ce perpétuel rebelle, auteur, dandy poisse, anar, tôlard, provocateur, éditeur et merveilleux exemple de résistance, que la société ne saurait vaincre ou récupérer.
Quel est le secret de ton inaltérable insoumission ?
Parce que je persiste et je signe ! J’ai vu, tout petit, la misère, mais je ne sais pas par quel mystère j’ai vite (trop vite peut-être) compris. Pour la petite histoire (fictive mais réelle) : je venais d’avoir dix ans, c’était un matin après le p’tit déj’. Mon père a dit, comme il le faisait souvent avant de partir au boulot sur son vieux vélo, “Bon, allez ! J’vais au chagrin !” J’ai pris le chemin de l’école et j’ai vu un type en costard, cigare au bec, passer dans une voiture rouge, une Ferrari. J’ai trouvé ça, comment dire… disproportionné. Plus encore, comme une formidable indécence. Le gars a garé sa belle bagnole, je suis passé à côté et quelques instants plus tard je suis revenu sur mes pas. J’ai réussi à forcer la portière, fauché les quelques valeurs qui traînaient dans la voiture et, pour la première fois, j’ai fait l’école buissonnière. C’est ce jour-là que je me suis mis en marge comme on dit. Voilà, c’est ce fond qui est inaltérable. Mais je ne pète pas plus haut que mon cul, j’ai aussi mes contradictions et je me soumets bien plus souvent que je ne me révolte. Je paie mes tickets de transport, par exemple ; je ne mets pas un coup de boule dans la gueule du premier flic venu, etc. Je suis donc à la fois insoumis et un soumis.
Penses-tu que les épreuves usent ou stimulent ?
Tu veux dire les malheurs ! Le plus grand qui m’ait touché dans mon existence sont mes dix piges passées en taule. Taule que j’appelle “camp d’expérimentation”, au sens nazi du terme, rien que pour voir comment tu résistes à cette inhumaine expérience. Enfin, si elle me pèse encore sur les endosses, je pense y avoir résisté et m’y être même renforcé (voir L’Ouvreur). Mais ce n’est pas le cas pour tout un chacun, des amis s’y sont pendu, d’autres ont pété un câble… Et encore plus sournois, beaucoup de mes potes y ont pris un “abonnement”. La prison est faite aussi pour que tu y reviennes (au supermarché de la peine faut bien de la clientèle). Mais, et pour sortir des cas extrêmes, l’épreuve peut être aussi une histoire d’amour qui s’effondre, avec la rupture qui s’ensuit… C’est toujours dur les ruptures ! Et c’est selon tes forces, soit tu restes dans le fond à te morfondre, soit tu remontes… L’égalité est dans la différence et c’est pourquoi la capacité de “rebondir” n’est pas donnée à tous.
Tu écris des récits, polars, contes, poésies, manifestes… Comment fais-tu pour être à l’aise dans tous ces styles ?
Parce que j’aime la diversité. Comme dit ci-dessus, je n’aime pas être enfermé ni –et c’est encore pire– m’enfermer moi-même !
Pourquoi avoir signé L’Ouvreur du nom de Charles Maestracci ?
Parce que c’est mon nom, et celui de ma fille, Leïla, à qui je dédie ce livre. Mais c’est aussi pour sortir de la réduction. Alexandre Dumal est étiquetté “polar-roman noir”. L’Ouvreur est dans un autre genre (lyrique/poétique). Le pseudo m’a permis d’avancer masqué pendant quelques années, mais j’avance dorénavant à découvert.
Penses-tu comme Genet qu’il faille “parler la langue de l’ennemi” ?
Ouh là là ! C’est de la philo ou quoi ? Je n’en sais rien s’il faut (ceci ou cela)… En tous les cas, j’irai pas frotter ma langue contre celle de l’ennemi. Il pue trop de la gueule !
Tu as aussi écrit une chanson, “ Je bande pour le crime ”, pour le groupe Casse-Pipe. Comment est-ce que ça s’est fait, y en a-t-il eu ou y en aura-t-il d’autres ?
Ça s’est fait tout simplement, par capillarité amicale… Une chouette rencontre. Je me suis baigné dans l’atmosphère qu’ils dégageaient, et de là la chanson. D’autres, groupe de rock ou chanteur berbère, me demandent d’en écrire. A voir.
Comment s’en tirent les éditions L’Insomniaque sans la moindre médiatisation ?
Oh mais il arrive parfois aux médias de parler de notre maison d’édition, du moins des ouvrages qu’elle publie (Putain d’usine de Jean-Pierre Levaray a fait un tabac dans la presse). Et puis, avec ou sans médias, nous avons notre réseau de librairies, le bouche à oreille et le réseau plat de nos nombreux “compagnons de route”. Bref on se démerde et on tient bon ! Ça fait dix ans qu’on existe et ce n’est pas demain qu’on va mettre la clé sous la porte… Surtout que ça fait des années qu’elle est dans la chaussure (ceci est un code !).
Peux-tu nous parler de ta collection, “De l’huile sur le feu” (voir encadré) ? N’as-tu pas peur qu’à terme elle ne finisse par tourner en rond si elle ne s’échappe pas du bistrot-ralliement de la TNT (Troupe de Non Travailleurs) ?
Non ! La collection “De l’huile sur le feu” ne tourne pas en rond dans le bistrot-ralliement de la TNT. Elle a aujourd’hui seulement huit mois d’existence et elle a déjà bien essaimé… D’ailleurs, ce n’est pas “ma” collection, je n’en suis que l’instigateur, l’ouvreur… Elle fait son petit bonhomme de chemin et si des lecteurs du Nord sont intéressés pour la diffuser, qu’ils nous fassent signe. Cette collection est avant tout une aventure collective, une fiction qui, comme chacun sait, précède la réalité. La TNT, c’est de la dynamique !
Que souhaites-tu à ce monde ?
Ah ben vlà encore une question pas facile… Quel monde ? Celui concocté par cette poignée de salopards (politiciens de tous bords) qui décident et pèsent de tout le poids de leurs appareils sur la situation de “tout le monde” ? Je ne saurais définir mes souhaits, parce que définir c’est enfermer dans les mots, c’est déjà réduire… Mais si j’étais magicien, j’aspergerais le monde d’un gaz hilarant aux effluves poétiques…
– Mais ça s’appelle de l’utopie ! me dit le militaire en pointant sur moi son fusil.
Quels sont tes projets immédiats ?
Aimer mes biens aimés, faire des fêtes, écrire un autre conte pour les mômes, continuer à m’occuper de la collection “De l’huile sur le feu” et des éditions de l’Insomniaque, tout en additionnant les vibrations qui élargissent la faille du mur, en béton armé, des forces adverses.
Avec le recul, à quel moment penses-tu avoir le plus dérangé la société ? Par l’action ou par les mots ?
Ce qui est semé est semé ! Mes livres sont comme mes actions. D’ailleurs, toi-même, Alias, tu participes à l’élargissement du champ de la confrontation puisque tu as créé un espace, L’Interdit, où tu proposes à des mecs comme moi de s’y exprimer. Alors voilà, c’est fait !
Quelle serait ta définition de l’interdit ?
Ce mot me renvoie à une peine que j’avais subi lorsque j’avais 20 ans : interdit de séjour ! Je n’avais pas le droit d’aller dans certaines régions de France. On appelait cela « la trique » et cela faisait de moi « un triquard ». Et puis, plus tard, j’ai remarqué qu’au bout d’un sens interdit il y a un panneau indiquant « sens unique »… alors j’ai bravé les interdits et tous les putois en sont restés pantois.
Les plus récentes parutions d’Alexandre Dumal
L’Ouvreur, sous le nom de Charles Maestracci, L’Insomniaque éditeur, 2002.
TNT (Troupe de non travailleurs), L’insomniaque éditeur, 2003.
En deux temps, trois mouvements, Folio Gallimard, 2004.
(et auparavant : Je m’appelle reviens, Série noire n° 2376, 1995 ; Burundunga !, éditions Baleine, collection canaille/révolver, 1996, etc).
La collection De l’huile sur le feu
“Une chronique hétérogène de l’actualité brûlante, écrite par ceux qui ne se résignent pas à la glaciation capitaliste… Les historiettes et les coups de gueule s’y succèdent comme autant de rafales incendiaires sur le brasier des colères”. Ces coups de gueule déboulent du bistrot qui sert de point de ralliement à la TNT, la Troupe de Non Travailleurs, première chronique de cette série mensuelle vendue un euro l’exemplaire. Déjà parus :
Mai 2003 : TNT par Alexandre Dumal. “Nous sommes sans armes mais nous sommes un million”.
Juin 2003 : Quand la ville tremble, 900 jours de grève… par Jack Malt. “Et pour commencer, pourquoi pas 900 jours de grève, sans syndicats ni médias ? En nous organisant nous-mêmes et avec notre propre publicité…”.
Septembre 2003 : Demain le chaos, le temps des barbares par Jean-Pierre Bastid. “Oui, demain, les Barbares vont déferler ! Voilà la meute, vive l’émeute !”.
Octobre 2003 : Ici et ailleurs, Paris-Thessaloniki par Jaime Rastapopoulos. “Certains prétendent qu’ils détournent la réalité pour réaliser la fiction”.
Novembre 2003 : Le chemin de travers par Madeleine Morel. “Bientôt je comprends que plus rien n’arrêtera ma révolte, qu’elle m’habitera maintenant comme un fantôme”.
Décembre 2003 : La blonde, la brune et les truands par Carmen Nicot. “Faudrait qu’on arrête tout. De travailler, de payer, tout !”.
Contact : L’Insomniaque éditeur, 63 rue de Saint Mandé, 93100 Montreuil-sous-bois.
Tél. : 01.48.59.65.42. Fax : 01.48.70.84.01.
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20/04/2012