Nous y serons !
« Plus ivre que mort, le vieillard se hissa péniblement jusqu’à l’étagère poussiéreuse encombrée d’un tas de livres et revues, pages détachées et toiles d’araignées. La pénombre régnant au fond de ce débarras ne fit qu’accentuer la luminosité de son regard quand sa main cornée et craquelée par les ans saisie un amalgame douteux de photocopies reliées entre elles à l’aide d’agrafes métalliques ayant résistées à la morsure du temps.
Dans un instant d’éternité c’est tout son vieux visage qui s’illuminait en palpant le papier imprimé. Ainsi il en restait !
Ses yeux embrumés de larmes contemplaient l’exemplaire précieusement conservé du Chéribibi N°10, que de souvenirs affluaient tandis qu’il tournait précautionneusement les feuillets… Et dire qu’à l’époque de sa folle jeunesse il s’en servait comme support afin d’y confectionner ses pétards, ou roulé pour taper les cons ou taquiner les copains-copines (très sympas)… À présent le vieux « fanzine » faisait office de relique obsolète exhumée dans cette cave mal éclairée ; combien d’années s’étaient écoulées ? Qu’est-ce qui avait si fondamentalement changé pour que les joies revendicatives évoquées lui paraissent si dépassées ? Etait-ce la réappropriation massive de la culture populaire (sujet premier, influence hétéroclite et métissée, du journal entre les mains serré) par ses acteurs-inspirateurs-créateurs : le peuple en couleurs ? Etait-ce la volonté démesurée mais si vitalement nécessaire de celui-ci (femmes-hommes-enfants) à ne céder ni à la facilité ni à l’oisiveté la tâche historique de créer une société autre –internationalement humaine- d’où sang, sueur et larmes furent proscris au bénéfice du rire, de la fête, de l’inventivité, du plaisir et d’une fraternité sans faille ? Le Chéribibi n’était qu’un œil critique parmi tant d’autres sur un monde présentement dépassé, révolu dans la révolution terrestre. Pourtant cela le concernait alors.
Il ne se rappelait pas bien si ses préférences de l’époque allaient aux séries B et autres nanards du ciné, au skinhead reggae, à l’Artérrorista, à la java, au théâtre d’usine, à la Oi ! ou tout simplement à la cocotonomie active mais il lui semblait bien que depuis le n°0 sorti dans l’hiver 1991 sous un premier titre bizarre (un truc genre Kadavresky ou Ouachbeuk…) le Chéri de ces dames avait bien dû causer d’tout ça… Sûrement d’autre chose aussi d’ailleurs, p’t’être même que le vieux alors jeune y avait participé ? « Fichu mémoire » maugréa-t-il tout haut. ‘Tout cas il se souvenait avoir vu la vie bien rock’n’roll, la suite des évènements lui donna pas tort et qu’est-ce qu’on a rigolé en transformant –un siècle après sa construction- le Sacré Cœur en MJC !
Du zine trouvé, acheté ou donné il ne restait à présent que des bribes de passé rappelant des visages et sons amis au cerveau émoussé par les douleurs endurées dans l’effort de résistance autant que par les jouissances consumées dans la victoire collective sur le veau d’or, l’opium, la loterie et la hiérarchie sociale. Ainsi vers le début du second millénaire, voire fin XXe Siècle, consciences politiques et artistiques avaient prédominées dans l’insurrection généralisée, balayant les « puissants » et leurs agents en un joyeux bordel organisé… Mais impossible de se rappeler si le dernier capitaliste avait été pendu avec les tripes du dernier bureaucrate ou si était-ce l’inverse… ? La ripaille mondiale faite sur le ventre enfin refroidi de la bête immonde fut un festin festif où les opprimés révoltés se remplirent gaiement la panse dans les frigos de la CEE ou les caisses éventrées du FMI ; quel gueuleton mes amis ! Digestif servi dans les différents palais, bourses et autres repaires des dirigeants digérés, carpaccio à volonté dans le monde entier !
Dressé sur son escabeau tel une fière statue de la liberté, chérissant l’antique trouvaille contre son cœur fatigué, l’ancêtre édenté souriait quand les plombs ont sautés. Troublé, déséquilibré, le vieil homme est tombé. De la cave personne n’est remonté. »
Marrant de relire 12 ans plus tard cet « épilogue » -écrit à 4h du mat’- au Chéribibi n°10 sorti en octobre 1998. Faut croire qu’il était alors plus optimiste que devin… M’enfin, faute de festoyer sur la carcasse d’un vieux monde à qui on aurait coupé les bourses, ce qui est certain c’est qu’en cette –triste ou belle, c’est selon- année 2011 on va fêter dignement les 20 ans du Chéribibi, anciennes et nouvelles formules confondues !
Attaché à promouvoir les cultures populaires dans leur éclectisme nécessaire (musique, cinéma, littérature, etc), la Trime Team chéribibine entend donc profiter de l’occasion pour non seulement présenter son évolution tant en termes techniques et graphiques que rédactionnels, mais surtout amorcer une réflexion quant à l’actualité et à l’avenir de la presse alternative dans l’hexagone.
À ce titre, le choix de proposer à la Fanzinothèque de Poitiers –son aînée de quelques années- d’héberger l’évènement s’est imposé comme une évidence.
• Vendredi 6 mai, 20h30 : Le cinéma étant un des éléments phare des sommaires du Chéribibi, un double programme concocté avec le cinéma Le Dietrich sera l’occasion de voir ou revoir quelques-uns de ces petits chefs d’œuvre dont on aime à évoquer la portée populaire ou du moins l’existence. En l’occurrence Le Casse de l’Oncle Tom (Cotton Comes To Harlem) d’Ossie Davis (1970), adaptation du roman Back To Africa de Chester Himes et précurseur de la vague « blaxploitation » des années 70, suivi du formidablement méconnu Bad Boy Bubby, film iconoclaste, déjanté et australien de Rolf de Heer (1993) dont la vision est aussi jouissivement indispensable qu’une thalassothérapie au LSD dans un asile d’aliénés.
Le Dietrich – 34, bd Chasseigne – 86000 Poitiers – 05 49 58 21 63 – http://le-dietrich.fr
• Exposition du samedi 7 au vendredi 13 mai : Dans une banlieue librement accessible, une exposition de maquettes originales, de dessins, gravures et exemplaires du zine permettra de rendre compte de l’évolution du Chéribibi et, plus largement, des diverses possibilités techniques et matérielles de création d’une presse « faite à la maison », ce au regard évidemment de l’évolution des moyens techniques et organisationnels durant ces 20 dernières années.
Le 7 mai à 16h, une visite commentée permettra de répondre aux questions éventuelles des curieuses et autres curieux.
Cap Sud – 20, rue Jeunesse – 86000 Poitiers – 05 49 62 97 47 – http://cap-sud-poitiers.com
• Rencontre-débat, samedi 7 mai, 17h, Cap Sud : Sans dire –même sous la torture- que ces agapes « commémoratives » ne sont qu’un prétexte pour engager une discussion sur une problématique nettement plus large et intéressante, le point d’orgue de cet anniversaire sera un débat sur l’actualité et l’avenir de la presse alternative en France. Divers intervenants issus du fanzinat et de la « free press » française permettront d’élargir les perspectives –notamment en matière de diffusion- et de briser les soi-disantes barrières entre petite-production-à-faible-tirage et revues-imprimées-à-diffusion-plus-large.
Ont déjà confirmé leur présence : Marsu (Crash Disques, ex-Bérurier Noir Posse), CQFD, Article 11, Hey !, Zones Libres (ex-Barricata), La Choriza, Antoine Bertin (Bunker Komix), Hélène Richard (Le Tigre), Gil, l’équipe de la Fanzino et bien évidemment la Trime Team Chéribibine (presque) au grand complet.
• Concert, 20h30, Cap Sud : Un bonheur n’arrivant jamais seul, le groupe punk-HC Un Dolor fête lui aussi ses 20 piges et a invité quelques amis turbulents : Epileptic, The Washingtonians et The Beam, le groupe dans lequel que il y a même Gomé, le responsable des malheurs de Bébert l’as du hold-up bien connu de nos lecteurs ! Pis y’aura aussi le Chéribibeat Sound System aux platines pour ajouter un brin de finesse jamaïcanisante à ce monde de brutes punkifiées… Non mais !
• Fresque 3D en direct tu vois ! : Etant donné l’implication des dessinateurs du Gang des Freskilleurs (Tôma « Verminax » Sickart, Riri, Gomé et plus si affinités) dans la fabrication du Chéribibi, vous ne pouviez échapper à la réalisation d’une fresque en 3D (oublie pas les lunettes que t’as chourré après Avatar coquin !) et en direct durant l’événement histoire de mettre des traces de peinture et de bière partout !
Pis pour en savoir (un peu) plus, c’est là !
Alors… ambitieuses ces festivités ? Heureusement ! Si l’on devait se résigner devant le manque de tout, il n’y aurait plus grand chose… et encore moins de Chéribibi.
Et puis, on n’a pas tous les jours 20 ans et (presque) toutes ses dents.
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4/05/2011