Tableau de Paris sous la Commune
Un avant goût du prochain numéro d‘Amer, revue finissante, avec une interview ma foi enlevée, quoique lourde par endroits, de la maison d’édition sao maï qui vient de rééditer le Tableau de Paris sous la Commune de Villiers de l’Isle-Adam, accompagné du désir d’être un homme et surtout d’une préface vraiment choodessny que nous ne saurions trop vous recommander de lire…
« Vous êtes un vilain incendiaire, mon amour ! »
Amer : Villiers de l’Isle-Adam, catholique et monarchiste patenté, se fend d’un texte quasi apolégétique sur la Commune de Paris ! En voilà une histoire ! D’où vient ce texte ? Il paraît qu’il a été édité, il y a quelques années déjà, à petit tirage ! Mais qui, quoi ? Dites-nous tout !
sao maï : Bonjour, L’équipe de Sao maï est actuellement en vacances. nous serions ravis de répondre dans la mesure du possible à vos interrogations, quoique il soit difficile en le faisant de ne pas déflorer le sujet incroyable de ce livre – et de son avant-propos, fruit d’un travail considérable – savoir : sa découverte – au milieu des années 1950 – la polémique qui suivit quant à l’attribution ou non du texte à Villiers, et enfin la substance du texte lui-même, surprenant au premier abord, mais par certains aspects, décisifs, tellement villiérien en diable… Nous vous suggérons de le lire (il est disponible dans les bonnes librairies, au prix de 6 euros) après quoi, à notre retour, ayant un peu plus de temps, nous pourrons répondre, si vous le voulez, à toutes les questions que vous vous posez. Merci pour vos encouragements.
Au plaisir de vous lire,
Cordialement,
Les éditions sao maï
Amer : Merci de votre aimable suggestion, mais au risque de vous surprendre, nous nous étions déjà farci votre prose fleurie. Peut-être, de votre côté, êtes-vous rentrés de vacances. La seule véritable question qu’invite d’ailleurs à poser votre réponse serait de savoir où l’équipe de Sao maï se dore la pilule, mais pour être tout à fait franc, nous nous en tamponnons le coquillard. Revenons-en plutôt, si vous le permettez, au fruit de votre « considérable » travail. Comment déniche-t-on un tel texte et pourquoi décide-t-on de s’y atteler ? Pour la littérature, pour la gloire ou pour le plaisir sodomite de malmener des brachycères cyclorraphes ?
Puisque vous semblez ne pas vouloir trahir le secret de votre préface, jaloux -on le comprend- de son petit effet, nous prenons la liberté d’en dévoiler nous mêmes quelques éléments en gageant qu’il restera toujours le texte de Villiers de l’Isle-Adam qui, convenez-en, demeure essentiel. Et puisque vous le dites mille fois mieux que nous ne pourrions le faire, soyez assurés que le lecteur gardera plaisir à vous lire.
Disons, pour le faire court, que Villiers de l’Isle-Adam participe contre toute attente à la Commune de 1871, contre sa classe. Gaillardement, Le Figaro s’empresse de dénoncer publiquement l’affront de sa participation à l’aventure séditieuse. Accusation à laquelle répond mollement l’intéressé. Quelques soixante-dix ans plus tard, on attribue néanmoins un certain Tableau de Paris, panégyrique du boulversement communard, à l’auteur des Contes cruels. S’en suit une polémique quant à l’attribution de ce texte. Mr Blows la réfute au motif que l’écrivain était d’obédience monarchiste, ce que corrobore un certain Mr Castex en évoquant la droiture légendaire de l’écrivain. Mr Drougard quant à lui prête la paternité du texte à Catulle Mendès, avant de se récrier au profit de Villiers et Mr Castex finit par avancer une possible collaboration des deux auteurs. Bref, ça patauge.
C’est à cet instant que vous intervenez. Autant le dire, bien que vos propos demeurent parfaitement courtois, vous n’êtes pas tendre avec vos aînés. Monsieur Castex serait « grave », les démonstrations de monsieur Blows de « profondeur suffisante », et « tous ces critiques (…) des gens impayables ».
Mais que leur reprochez-vous en somme ? De s’être trompés ? Nous ne pensons pas, d’autant plus que rien ne nous assure au final que vous ne vous trompez pas vous-mêmes ! Alors quoi ? Peut-être nous nous leurrons à notre tour, mais nous y voyons ce qui pourrait constituer une critique de la séparation au coeur de la critique. Ce qui est en jeu dans votre texte ne serait pas l’erreur du jugement, à laquelle nous sommes tous exposés, mais le manque – pour ne pas dire la négation- de l’expérience dans l’exercice critique.
Cela nous donne de très beaux passages sur l’homme traqué et l’instinct de survie, loin des sempiternels discours convenus sur la droiture et la grandeur de l’aristocrate catholique.
sao maï : Chères âmes,
Vous avez raison : l’évocation de nos vacances n’était ni d’une absolue nécessité au plan logique, ni heureuse en ces temps – difficiles – de récession économique. Nous aurions simplement dû fermer notre gueule, nous barrer sans trop répondre aux gens, et c’est bien ainsi que nous agirons désormais. Merci.
Pour en revenir à Villiers, et au texte que vous vous êtes farcis, il semble à vous lire, en dépit peut-être d’une certaine lourdeur dans l’expression, que vous ayez parfaitement compris son intérêt. Prouver définitivement, avec cette autorité de critique dont nous établissions justement l’ineptie, que Villiers était bien l’auteur du Tableau de Paris n’était évidemment pas le but. Prouver est policier et bourgeois, et Villiers, vous le savez, n’avait de pire ennemi que les tenants de cette Réalité positive qu’il méprisait. La question fut donc bien plutôt, en effet, de comprendre comment un individu pourtant solidement engoncé dans l’idéologie de sa classe – ou tout autre, d’ailleurs – peut brusquement basculer dans la vie, à la faveur d’un événement, d’une expérience donnée, en l’occurrence celle de la Révolution prolétarienne. Les deux marques habituelles indubitables du pauvre, en ce monde, sont d’une part la peur et l’humiliation, d’autre part la connaissance immédiate, et très sûre, de ses ennemis mortels. La Pauvreté n’est donc pas sainte, comme le pensait ce « volcan de merde » de Bloy, mais elle provoque la clairvoyance et, en de trop rares occasions, l’irruption salutaire, parfois brutale – ce que les bourgeois gauchistes déplorent alors avec mélancolie – de la Vérité historique, laquelle est l’antithèse directe de cette Réalité de merde évoquée plus haut. Villiers fut pauvre, il vécut avec les pauvres, les femmes de ménage, les analphabètes, les clochards, il les connut, notamment au sens biblique, il les comprit, il parlait leur langue et buvait leurs humeurs. Ses ennemis, il les détesta comme les pauvres les détestent, c’est-à-dire qu’il souhaita leur perte, leur mort, leur disparition concrète. Il aima ainsi l’émeute et la Révolution prolétarienne comme les prolétaires, il aima la mise à l’amende de ses ennemis, de ses persécuteurs habituels. Il aima l’espace parisien débarrassé de leur présence vulgaire. Il aima les discussions, et les plaisirs, alors, des pauvres. Et puis, bien sûr, les meilleures choses ayant une fin, et les bourgeois triomphant, et revenant, et massacrant, comme n’importe quel pauvre, dont le lot est la peur humiliée, Villiers tenta de sauver sa vie de manière infâme. Comment vouliez-vous, donc, chères âmes, dans ces conditions, que les messieurs évoqués dans notre avant-propos au Tableau – les Castex, Dubois, Drougard … etc – eussent pu comprendre quoi que ce soit à la nature de ce personnage, et à son attitude durant le printemps 1871 ? Telle est cette « négation de l’expérience dans la critique » dont vous parlez, et que nous voulions moins combattre que ridiculiser, en signifiant par là notre amour des êtres complexes, notre haine des riches, et notre intérêt pour Villiers de l’Isle-Adam, qui est notre pote.
Contents de voir que vous nous avez lus.
Cordialement,
Laurent Zaïphe, pour Sao Maï
Amer : Nous n’avons pas fait que vous lire : nous avons aimé vous lire. C’est pour cette raison que nous nous permettons quelques familiarités, ma gueule !
Sinon, nous vous le confirmons : il y a bien quelques lourdeurs chez nous. C’est qu’on mange gras par ici. Disons que ça tient chaud et que ça aide parfois à faire taire les claque-merdes. Mais ça ne console pas, car voyez-vous, c’est le lot commun de beaucoup de ceux dont vous parlez, et qui n’ont pas votre plume. Ca n’excuse rien, mais ça explique peut-être pourquoi on se frotte à votre écriture. Après tout il n’y a pas de mal à vouloir s’élever.
Villiers fit profession de mépriser l’argent et connut la misère, notamment après la mort de Mlle de Kérinou. Dans Dinah Samuel, Félicien Champsaur décrivait Villiers sous les traits de Richard Boishève, « un écrivain qui serait magistral si à son génie ne se mêlait un peu de folie. (…) Blond et nerveux, élégant sous une défroque usée, il est pauvre comme un gueux, n’ayant à lui que le vaste ciel, mais il offre le bras à la misère, crânement, avec plus de courage, peut-être, que n’en avaient les vaillants, ses aïeux, à faire tournoyer, dans les mêlées, leurs sanglantes épées à deux tranchants. » On dit que pour survivre, il donnait des cours de boxe et qu’il était parfois contraint de se louer comme sparring-partner, ce que vous nous confirmerez peut-être.
Plus surprenant encore, cette aversion que vous nous dîtes pour le lardu et qui le rend éminemment sympathique (« De surveillant, nulle trace ; aucun agent de police n’obstrue la rue et ne gêne les passants. La sécurité est parfaite »). C’est d’autant plus dommage que ce fils d’Eglise, pêcheur plus que pratiquant, et que vous défendez c’est bien normal, puisqu’il est « votre pote », soit une poucave.
Cela fera dire à certains qu’à défaut de trahir sa classe, sa classe l’a trahi, car il est incompréhensible pour ces gens-là, à l’instar de Mr Blows dont c’est le job, qu’un homme de ce rang, de droite donc, ait pu participer, avec sincerité, à la Révolution prolétarienne. Emeutes et révolutions ne sont généralement jugées acceptables qu’en fonction du soutien qu’elle apporte à l’idéologie qu’on défend. Il va sans dire qu’il en est de même de l’émeutier ou du révolutionnaire.
Comme vous le dites, Villiers est un être complexe, ou pour le moins contradictoire, qui très paradoxalement, parce qu’il est exception, nous réconcilie avec le genre humain.
Lourdement,
Les Ames d’Atala
sao maï : Chères âmes,
En effet, Villiers exerça, entre autres douteuses professions, celle d’instructeur de boxe – en réalité, plus exactement celle de preneur de coups dans la gueule, comme le confirme Bloy dans une lettre d’octobre 1885 (Villiers a alors 47 ans) : » Mon ami, le comte de Villiers de l’Isle-Adam, titulaire d’un des plus grands noms de l’Europe et l’une des plus lumineuses intelligences de poète qu’on ait vues en ce siècle, est moniteur dans une salle de boxe anglaise et reçoit, aux appointements de 60 francs par mois, environ deux douzaines de coups de poing sur la figure chaque semaine, pour nourrir son fils. »
Le fait est confirmé par Huysmans, par exemple ici : » Quel levier que la médiocrité, on soulèverait l’Himalaya ! avec ! Et l’on casse la gueule d’un homme comme Villiers pendant ce temps-là !Vive l’anarchie ! la destruction ! Vive la mort ! » (lettre à Robert Caze, décembre 1885) Villiers évoque lui-même ses talents pugilistiques dans DEUX AUGURES (Contes cruels) en précisant qu’il maîtrise – je cite de mémoire – » les arcanes des boxes française, anglaise et irlandaise. » Si l’on tient compte du fait que les premières « Ring Rules » du marquis de Queensbury ne furent édictées qu’en 1877, ce devait être quelque chose que les entraînements de boxe, alors, et une sacrée vicieuse chose que la boxe irlandaise. Villiers, qui avait toujours quelques comptes secrets à régler avec Catulle Mendès l’invite aussi dans une lettre à venir, avec lui, tenir » un assaut de boxe irlandaise « .
Villiers fut également « faux malade guéri par la psychiatrie – et comblé – » chargé de jouer ce rôle auprès des clients assis dans la salle d’attente d’un célèbre médecin de l’époque, correspondant de guerre n’ayant rien à raconter, puisque sans guerre sous la main – et donc arnaquant ses mandataires journalistes en leur pondant des souvenirs imaginaires. Il fut aussi prétendant sérieux au trône de Grèce, apprenti-mari en Angleterre et bien d’autres choses encore, moins admissibles sans doute.
Villiers était, vous avez raison, une poucave. Disons, pour être plus précis, qu’il le fut formellement, comme nous l’avons indiqué dans notre avant-propos. Il s’est probablement couvert en balançant des gens dont il savait qu’ils étaient loin déjà, ou intouchables de quelque manière que ce soit. Il était également assez furieusement antisémite, au point de renvoyer vertement de sa mansarde un type – j’ai oublié son nom – venu lui proposer de collaborer à un pamphlet anti-Drumond (qu’il méprisait par ailleurs).
Au plan de la Religion, Bloy s’est assez souvent brouillé avec lui – avant leur rupture définitive – pour son amour affiché de l’hérétisme, et d’un christianisme toujours intellectualisé, où le péché serait reconnu dans toute sa suprême importance, à flatter. Vous connaissez probablement son fantasme de » maison close à péchés » où les clients eussent été amenés, en déambulant, à choisir leur châtiment parmi les plus pittoresques, le plus relevé consistant bien sûr en une crucifixion » à la façon de notre Seigneur » …
Nos amitiés ne sont pas seulement politiques. L’amitié va à qui nous protège et augmente notre être. L’amitié est, comme dirait Rachilde, animale. D’accord avec vous, bien entendu, sur l’idéologie. Q’un réactionnaire – mot d’ailleurs tolérable, comme insulte, de la part des seuls communistes – participe, ci ou là, ponctuellement, à tel épisode émeutier ou révolutionnaire, et alors il n’y a plus de réactionnaire : il s’est évanoui, ou effondré, comme n’importe quel idéologue. Les mots, et les professions de foi, importent tellement peu, en face d’une vie n’amenant que des complices, et des partenaires.
Mais cela suffit : j’ai faim. Je vais grailler (mais vous ne saurez pas quoi !) Je vous laisse, les âmes.
Cordialement,
Laurent Zaïphe
Amer : De manger à boire… rappelons que Villiers ne se faisait pas prier pour lever le coude. Ce qui n’est pas incompatible avec le pugilat. On se souvient de Peter Jackson, celui de l’Auberge du cheval blanc qui respirait de l’ammoniaque et lampait du sky pendant qu’il combattait. Y compris durant les 61 reprises que dura son combat contre le futur champion du monde poids lourds J.J. Corbett. On était alors en 1891 et on boxait encore à poings nus, plus ou moins selon les règles du pugilat établies par Jack Broughton au milieu du dix-huitième siècle. Celles de boxe édictées en 1877 par Jonh Graham Chambers, et signées par le marquis de Queensbury dont vous parlez, mirent du temps à s’imposer et surtout à être appliquées.
Vous avez donc raison, cela devait être quelque chose que cette boxe, surtout bare-knuckle. Outre les blessures terribles infligées au visage, les mains souffraient énormément, ce qui poussaient certains à se plonger les poings des heures durant dans la saumure de boeuf, pour les endurcir. D’autres, comme Bob Fitzsimmons, se les badigeonneaient d’essence de cerf, d’alcool, d’iode, de laudanum et d’autres saloperies encore. Et puis, les premiers gants n’arrangeaient rien : ils ne pesaient pas plus de 2 à 4 onces, ce qui est peu lorsque vous les prenez dans la gueule. Les combattants au contraire frappaient plus fort, et bien plus longtemps qu’à mains nues et les bandages de chatterton, censés protéger les mains, rendaient les poings durs comme de la brique. Beaucoup au final picolaient, peut-être pour apaiser leurs douleurs.
Mais Villiers n’avait pas besoin de prétexte. C’était un homme de café. Vous le rappelez dans une note aux chapitres du Tableau consacrés aux Cafés chantants : il « fut toujours un noctambule invétéré et un pilier de bistrot ». Sa littérature d’ailleurs est en partie une littérature de troquet, c’est-à-dire, qu’elle était avant tout orale ! Ephraïm Mikhaël racontait par exemple : « J’ai assisté hier soir à l’Eglise des culs de bouteille à un sermon sur l’idée de Dieu par le Révérend Père Auguste Villiers de l’Isle-Adam. Il est toujours aussi étonnant. Il est arrivé à dix heures. Quand je suis parti, à une heure moins le quart, il parlait encore et personne n’avait prononcé une parole ». Ce que confirment Maeterlinck et tous ceux qui l’ont fréquenté à la Brasserie des Martyrs ou au Café Madrid.
La nouvelle qui suit le Tableau de Paris, tirée de Contes cruels et intitulée Le Désir d’être un homme fait partie de ces textes magnifiquement écrits, mais qu’on aimerait presque entendre. On flaire en les lisant qu’ils ont été dits dans le tumulte des bistrots avant d’être couchés sur le papier ou les sous-bocks. En parlant de ce texte, expliquez-nous pourquoi l’avoir placé à la suite du Tableau. Certes, Villiers date l’action du temps où, tout de suite après la Commune, le couvre-feu était une réalité pour les parisiens, mais encore ?
sao maï : Eh bien ! – comme indiqué dans notre préface – il y a d’abord la proximité temporelle immédiate des deux textes, l’amertume de la défaite et de son couvre-feu succédant aussitôt à l’ivresse des « cafés-chantants », aux discussions « enfin libres », à l’oubli – cette chose incroyable aurait-elle seulement eu lieu ? – de l’évanouissement récent de ces maudits « sergents de ville » dont la morgue s’étale à nouveau, habituelle et hideuse, au long des boulevards parisiens.
Plus profondément, apparaissait là ce qui constitue peut-être – à mon sens – l’intuition villiérienne la plus superbe : celle de l’Art conçu, douloureusement d’ailleurs, et ici du point de vue d’un de ses laudateurs habituels même, comme le dernier stade – et pourrait-on dire : la voiture-balai – de la vie séparée, confinant les artistes dans cette fausse conscience à eux si particulière, celle du mépris splendide, isolé, trônant au-dessus des restes pourris de la société bourgeoise.
Idéologiquement, Villiers sacrifia, certes, toute son existence à cette niaiserie qu’on appelle l’Art pour l’Art. Tandis, pourtant, que cette crapule de Gautier, entre autres, en tire sous la Révolution toutes les justes conséquences et crache à la gueule des prolos, Villiers choisit, à cette belle occasion, la vie. Cette tension (au risque de me répéter) entre ses obligations rigides et sa subjective rébellion, suffirait bien à l’introduire (disons plus modestement à le présenter).
Jamais les artistes, même – et surtout – les plus radicaux, n’acceptent d’aller si loin qu’ils risqueraient d’outrepasser, dans leur cheminement créateur, ce sacro-saint statut peut-être ma foi amené à servir un de ces jours, pour la retraite (je veux dire : en cas que la Révolution reflue – et elle refluera, sans l’ombre d’un doute.) Or, l’argument du Désir d’être un homme est justement l’impossibilité, pour un artiste vieillissant et déjà reconnu, bref : heureux comme artiste, de seulement parvenir au sentiment, et d’échapper au fond de ce crime contre l’humanité demeuré impuni de l’Art s’hypostasiant, refusant de passer en sa forme supérieure.
Tout cela peut évoquer, sans problème, en négatif, les textes du jeune Marx sur l’homme communiste, préfigure même, à mon sens de manière unique en littérature française certaines thèses situs de la fin cinquante sur la culture, sur ses ennemis et ses pathétiques éternels maquereaux, gauchistes ou libéraux.
Villiers – qui entretenait au théâtre et au jeu d’acteur un rapport ambigu, lié à ses propres errements de mythomane – revient volontiers là-dessus ailleurs, dans Sombre récit, conteur plus sombre (Contes cruels) par exemple, dont je vous rappelle la conclusion, terrible, crucifiant les simples et ignobles profiteurs d’expérience :
« À quelques jours de là, je rencontrai l’un de mes amis, un littérateur, et je lui narrai l’histoire de M.D*** telle que je l’avais entendue.
« Eh bien ! lui demandai-je en finissant : qu’en pensez-vous ?
– Oui. C’est presque une nouvelle ! me répondit-il après un silence. – Écrivez-la donc ! »
Je le regardai fixement.
« Oui, lui dis-je, maintenant je puis l’écrire : elle est complète. »
Salut, les âmes.
Pierrot, pour sao maï.
Amer : Alors concluons avec Mallarmé qui dans Quelques médaillons et portraits en pied fera dire à son ami : « Histrion véridique, je le fus de moi-même ». Voilà qui est bien dit Steph’ !
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2/02/2009