Ni chaud ni froid
conservation, cryogénisation, lyophilisation,
accélération et réaction de la critique
[clavier manié par david perrache
& dessins graphite et mine de plomb réalisés par lmg-névroplasticienne]
« Vous vous rappelez certainement les histoires légendaires des voyageurs dans les terres polaires au Moyen Âge : les paroles gèlent en hiver et restent à l’état de glaçon jusqu’à la chaleur. Alors elles dégèlent et redeviennent paroles. »
Vladimir Korolenko, La Gelée, 1922
Martine au frigo
Le docteur Raymond Martinot aimait la vie. Ou, pour être plus précis, l’idée de la mort lui était insupportable et « grotesque » [1]. Il était gynécologue.
Le docteur Raymond Martinot aimait aussi la cryobiologie et la cryoconservation. C’est tout logiquement, donc, qu’il décida, au début des années 1970, de se lancer dans la cryogénisation, cette technique encore balbutiante consistant à conserver congelé un corps après sa mort, dans l’espoir que les progrès de la médecine permissent, dans le futur, de le ramener à la vie.
Il entreprit, à partir de 1974, dans le plus grand secret, la fabrication d’un congélateur sarcophage sur mesure, prévu pour accueillir son corps trépassé, ainsi que celui de sa compagne Monique Leroy. Une fois le sépulcre frigorifique achevé quelques années plus tard, il en informa sa chère et tendre, et lui expliqua dans le détail son fonctionnement. Plus âgé que cette dernière de treize années, il était persuadé de quitter ce bas monde avant elle. Mais l’homme de science n’était pas devin. En février 1984, ce fut Mme Leroy que la camarde vint d’abord chercher. Profondément attristé par cette disparition soudaine, notre docteur n’en resta pas moins pragmatique. Dans les instants qui suivirent l’annonce de sa mort clinique, il prit les dispositions indispensables au bon déroulement de la cryogénisation de la défunte et, assisté d’un interne de l’hôpital, il lui injecta un anticoagulant et un antigel « pour éviter au maximum les dégâts dus à la congélation ».
M. Martinot n’était pas Picard. Le meuble frigorifique dans lequel reposait désormais Monique Leroy était installé dans la crypte de leur château de Nueil-sur-Layon, près de Saumur, dans le Maine-et-Loire. Le dispositif sécurisé était prévu pour résister à toutes les catastrophes: les parois du caisson frigorifique mesuraient quinze centimètres d’épaisseur. Trois murs successifs d’un mètre d’épaisseur chacun le séparaient de l’extérieur, et diverses alarmes sonores et visuelles cernaient l’installation. Malgré toutes ces précautions, quelques mois plus tard, une panne électrique fit défaillir le système, et Raymond Martinot dut en urgence se procurer du gaz carbonique pour remettre en route l’installation. Dès lors, la discrète expérience d’hibernation fit la une des journaux.
Si à l’origine le sous-préfet de Saumur avait accordé au docteur Martinot le droit d’inhumer sa compagne dans la propriété de son château, il ne se doutait pas que l’intention réelle de l’hypothétique Hibernatus était la congélation. Lorsque Raymond mourut à son tour en 2002, à l’âge de 80 ans, après avoir confié à son fils Rémy le soin de cryogéniser son corps au côté de celui de Monique, qui s’impatientait depuis déjà vingt ans, l’administration française manifesta cette fois-ci une vive opposition. Au nom de l’ordre et de la salubrité publics, un premier jugement fut rendu interdisant au mort de rejoindre sa compagne dans le frigo familial. Rémy Martinot fit appel. Une longue bataille juridique s’ensuivit, qui se conclut en 2006 par un arrêt du Conseil d’État déclarant la cryogénisation, en tant que mode de sépulture, illégale. Lire la suite »