Lettres du front
En août 1914, âgé de 19 ans, Ernst Jünger s’engage dans l’armée allemande. Du front, il écrit régulièrement à ses parents et à son frère Friedrich Georg. Si son courrier rend compte de ses difficultés pratiques et de la fatigue quotidienne, il témoigne par ailleurs de sa passion naissante pour l’entomologie. Ces lettres, en dessinant le portrait d’un jeune engagé animé de convictions nourries de références à la culture classique, constituent un document précieux par la dimension humaine dont elles enrichissent cette expérience exceptionnelle de la guerre.
2 commentaires pour “Lettres du front”
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3/03/2016
C’est marrant, je lis justement en ce moment « Orages d’acier ». Certaines descriptions des combats et de la folie des bombardements sont fascinantes. Le passage sur la traversée du village de Combles, par exemple:
« Les premiers obus ne tardèrent pas à tomber sur la droite et la gauche de notre chemin. Les conversations baissèrent de ton, puis cessèrent enfin. Chacun prêtait l’oreille au long miaulement des obus, avec cette étrange surexcitation des sens qui donne à l’ouïe la plus vive acuité. Ce fut surtout la traversée de Frégicourt-Ferme, un hameau, devant le cimetière de Combles, qui nous mit pour la première fois à l’épreuve. La poche qui se resserrait autour de Combles y était déjà étranglée à l’extrême. Quiconque voulait entrer dans la ville ou en sortir était contraint d’y passer, de sorte que cette artère vitale était soumise sans interruption au plus lourd des martèlements, semblable aux rayons que concentre une lentille. Le guide nous avait déjà préparés à ce passage tristement célèbre ; nous le traversâmes au pas de gymnastique sous la grêle des éclats.
Il flottait au-dessus des ruines, comme de toutes les zones dangereuses du secteur, une épaisse odeur de cadavres, car le tir était si violent que personne ne se souciait des morts. On y avait littéralement la mort à ses trousses – et lorsque je perçus, tout en courant, cette exhalaison, j’en fus à peine surpris – elle était accordée au lieu. Du reste, ce fumet lourd et douceâtre n’était pas seulement nauséeux : il suscitait, mêlé aux âcres buées des explosifs, une exaltation presque visionnaire, telle que seule la présence de la mort toute proche peut la produire.
C’est là, et au fond, de toute la guerre, c’est là seulement que j’observai l’existence d’une sorte d’horreur, étrangère comme une contrée vierge. Ainsi, en ces instants, je ne ressentais pas de crainte, mais une aisance supérieure et presque démoniaque ; et aussi de surprenants accès de fou rire, que je n’arrivais pas à contenir. »
Il faut lire Orages d’acier !