La Terreur à l’ordre du Point
Vade-mecum
Printemps 1793. L’hiver en découd. Paris gèle, mais les esprits sont en combustion. La Convention avance, on discute de l’organisation du tribunal suprême de la vengeance du peuple, tandis que les révoltés vendéens, ces aristocrates à la lanterne, constituent leur armée catholique et royale. « Le goût de la mort entre en nous comme un large fleuve rouge avide et dévorant », « Soyons terribles », martèle Danton à toutes les tribunes, et ils le sont, parce qu' »il est temps d’épouvanter les conspirateurs », c’est la Terreur. Les girondins combattent mais bientôt ils perdront la partie et leur patrie, les lécheurs de guillotine lèchent la guillotine, c’est le temps de la paranoïa et de la suspicion.
Une révolution n’est pas une soirée de gala : un faux pas, la sanction est là. Une fréquentation douteuse, la condamnation sans rémission. Un verre de picrate de trop, celui qui rend bavard, et le grand massicot y remédie. La faucheuse fait perdre la tête à qui ne sait tenir sa langue ; sur les pavés dansent les Enragés, les Indulgents, les Missionnaires, les juges et les jurés du Tribunal révolutionnaire. La France est un charnier, ou un berceau, la France agonise ou hurle sa re-naissance, sous les fenêtres du narrateur, le commissaire Grand-Jacques. Du 9 mars 1793 au 26 juillet 1794, il va tenir un journal, précis, hallucinant de rigueur, autoptique. Il est vieux, Grand-Jacques, il est malade, tout cela n’est ni de sa charge ni de son âge, mais une série de crimes d’une extrême violence relance d’un coup le désir de justice du vieux limier, au-delà du chagrin. Parmi les victimes quotidiennes de la Terreur, ces cinq prostituées assassinées sont cinq mortes de trop.
Pourquoi le lire ?
Parce que c’est l’un des meilleurs premiers romans de la rentrée. Parce que l’auteur, l’un de nos plus éminents spécialistes du XVIIIe siècle, maîtrise son sujet. Parce que le roman a toujours été un bon camarade – le meilleur ? – pour l’Histoire. Et parce qu’on n’a jamais rien lu de semblable, de si pointu, de si chirurgical, sans passion et sans excès inutiles, sur la « raison sanguinaire ».
Où, quand le lire ?
Dans une vieille Micheline qui traverse la Vendée, doucement, en s’arrêtant chroniquement dans des gares minuscules et invraisemblables. Quand les trois pages infimes de vos manuels de quatrième B sur le sujet ne vous ont pas rassasié. Ou quand, au contraire, vous vous pensez plutôt calé sur la période.
À qui l’offrir ?
À tous les historiens, pour qu’ils se mettent au roman. À tous les auteurs de « romans historiques » qui ne sont pas assez historiens. Et à tous ceux qui peinent encore à distinguer l’imaginaire de la réalité sur cette grande machine à fantasmes que fut la Terreur.
La Terreur, de Patrick Wald Lasowski (Le Cherche Midi, 360 p., 17 €)
Par Marine de Tilly
Le Point – Publié le 14/09/2014 à 09:43
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15/09/2014