R.I.P Cristal.
QUE LE COQ CHANTE OU NON,
LE JOUR SE LEVE.
proverbe libanais
proverbe libanais
L’opinion publique s’est émue, à l’occasion de la course d’automobiles Paris-Berlin, de l’incident suivant : dans une des villes neutralisées, un enfant de dix ans a voulu traverser devant l’un des véhicules qui roulait à l’allure très modérée de douze kilomètres à l’heure, et a été tué sur le coup.
C’est là, à notre avis, une chose excellente, pour des raisons que nous allons exposer. Les touristes à bicyclette ou à bicycle, en l’an 1888 ou 1889, étaient insultés en langue aboyée, mordus et incités à choir, jusqu’à ce que les chiens, ainsi qu’on le constate aujourd’hui, eussent pris l’habitude de se ranger, comme d’une voiture, du nouvel appareil locomoteur. L’éducation canine parachevée, les cravaches et autres engins de défense du cycliste en ces temps reculés ont pu aller rejoindre les démonte-pneus de l’âge de pierre.
L’être humain adulte en est venu, quoique plus lentement que son compagnon quadrupède, à laisser le passage libre aux véhicules rapides. L’homme à pied ne grouille plus par bancs sur les trottoirs cyclables, par contre l’ours y est assez commun, au voisinage des roulottes de nomades, et nous y rencontrâmes un jour, au mépris des règlements, jusqu’à un cheval surmonté d’un officier français.
L’être humain en bas âge, l’enfant, puisqu’il faut l’appeler par son nom, s’exerce au courage des guerres futures en traversant, par bravade, les routes devant les cycles et les automobiles. Notons qu’à l’exemple de certaine peuplade sauvage, qui manifeste sa valeur en montrant son derrière à l’ennemi, mais chez qui une telle témérité n’est point d’usage trop près de l’ennemi, l’enfant ne s’amuse à courir ce péril que quand le péril est encore éloigné, c’est-à-dire quand le véhicule n’arrive pas très vite. L’accident de Paris-Berlin s’est produit logiquement, par suite de l’absurde idée de « neutraliser » les villes. Il est même extraordinaire qu’un seul enfant, et pas dix mille personnes ayant atteint depuis longtemps ce qu’on est convenu de dire l’âge de raison, n’aient point gambadé devant les coureurs qui leur donnaient le temps de le faire. En revanche, on remarquera qu’aucune collision n’a eu lieu sur la route, parcourue à près de cent kilomètres à l’heure.
Ajoutons, pour justifier notre titre, que le piéton court moins de risques que le cycliste ou le chauffeur ; il s’expose à une simple chute de sa hauteur et non à une projection hors d’un appareil de vitesse, ni au bris de cet appareil précieux ; donc, jusqu’au jour où cette folie n’aura point cessé, de laisser circuler des gens à pied, non munis d’autorisation préalable, de plaque indicatrice, frein, grelot, trompe et lanterne, nous aurons à vaincre ce danger public : le piéton écraseur.
Alfred Jarry, « Les piétons écraseurs »
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Opinion de Bibi
A Toumine John
M’sieu Loze, not’ préfet d’police,
Contre les cabots entre en lice.
Il paraîtrait que tous les maux
Nous vienn’nt de ces brav’s animaux.
J’dis qu’il a tort de fair’ des niches
A nos bons amis les caniches.
Y’ a qué’qu’un qu’offre plus d’ danger :
C’est l’ brav’général Boulanger.
Les chiens, errant à l’aventure,
N’aspirent pas à la dictature.
Quelque temps qu’il fass’, chaud ou frais,
lls ne voyag’nt pas à nos frais.
Ils ont un’ conduit’ polissonne ;
Mais, quoi, ça n’ fait d’mal à personne.
Y’ a qué’qu’un qu’on d’vrait attacher :
C’est l’ brav’ général Boulanger.
«Les chiens mord’nt», dit-on ; c’est un’ craque :
I’s n’mord’nt que c’lui qui les attaque,
Et puis, i’s sont très rigolos,
Quand ils se dis’nt bonjour dans l’dos.
Leur voix, à tort’ on la critique :
I’s n’aboient pas d’ la politique.
Y’ a qué’qu’un qu’on devrait mus’ler :
C’est l’brav’ général Boulanger.
La polic’ les pig’ par derrière,
Pour les conduire à la fourrière.
D’vant la rousse, i’s sont nos égaux,
Car, leurs bêt’s noir’s c’est les sergots.
Au lieu de conduire à la chaîne,
Ces copains de la race humaine,
Y’ a qué’qu’un qu’on devrait piger :
C’est l’braY’ général Boulanger.
De pitié j’ sens mon cœur se fendre,
Quant, comm’ des bandits, j’les vois pendre.
S’ passant d’ cour d’assis’s et d’ jurés,
On les execut’ sans curés.
L’ bourreau, sans tambour ni trompette,
Leur-y serre la margoulette.
Y’ a qué’qu’un qu’on d’vrait nettoyer:
C’est l’ brav’ général Boulanger.
Jules Jouy, 12 juillet 1888.
Retrouver le gaillard dans le n°2 d’Amer, la revue finissante ! ¨Photo de Sébastien Fantini ! Retrouvez-le aussi dans Amer !
Si vous êtes une petite fille extrêmement baiseuse, si vous avez tout le temps la chemise pleine de foutre et les draps couverts de taches, branlez un peu la bonne pour qu’elle ne dise rien.
Ne sucez jamais le valet de chambre en présence de la cuisinière. Elle serait jalouse et vous dénoncerait.
En montant dans l’automobile de vos parents, n’embrassez pas le chauffeur dans le cou, même si vous lui êtes très reconnaissante de ce qu’il vient de vous baiser six fois.
Ne vous plaignez pas à madame votre mère de ce que la nouvelle bonne ne veut pas vous faire minette. Faites la chasser sous un autre prétexte.
N’enculez pas de force la femme de chambre avec un manche à balai. Vous pourriez lui faire très mal.
Quand votre bonne anglaise est endormie, ne lui coupez pas les poils pour vous faire des moustaches blondes.
Si la cuisinière veut bien vous laisser examiner sa connasse dans tous les détails, ne fourrez pas dedans du poil à gratter.
Si vous surprenez la fille de cuisine en train de se branler avec le rouleau à pâtes, ne le répétez pas à madame votre mère. Quand une pauvre fille est en chaleur, elle prend ce qu’elle a sous la main.
Ne faites pas feuille de rose à vos domestiques. C’est un service que vous pouvez leur demander mais qu’il est plus convenable de ne pas leur rendre.
N’entrez jamais à l’office en relevant vos jupes jusqu’à la ceinture et en criant : « Pinez-moi donc tous ! » Ces gens n’auraient plus de respect pour vous.
Quelque soit la vénalité du valet de chambre qui vous enfile, ne lui donnez pas un bijou de madame votre mère chaque fois qu’il montera sur vous.
N’exigez pas d’une femme de chambre qu’elle vous fasse minette plus de deux fois par jour. Il ne faut pas fatiguer les domestiques.
Pierre Louÿs, Manuel de civilité pour les petites filles à l'usage des maisons d'éducation
Retrouvez un Pierre Louÿs poète dans le premier numéro d'Amer, revue finissante, ici téléchargeable !
Soit 33 brochures (1884 à 1895), chacune précédée d’un cahier de 4 feuillets, in-8.
Démêlés de l’auteur avec l’administration et le presse locale.
Pendant onze ans, Noireterre envoya ses brochures aux journalistes, aux députés, aux ministres, harcelant également les présidents de la République successifs…
Déjà ébranlé par ses malheurs vrais ou supposés, comme par l’absence de réponse à ses lettres et à ses imprimés, Noireterre sombre bientôt dans la folie.
Il mélange de plus en plus ses propres affaires avec celles de la République, le ton exalté de ses philippiques se fait frénétique, il menace et prédit une mort violente à Casimir-Perier s’il ne gracie pas l’assassin du président Sadi Carnot, l’anarchiste Caserio…
La disposition typographique est souvent fantaisiste et la taille des caractères insolite ; la dernière et trente troisième brochure se termine par ses mots :
imprimés -comme de nombreux passages des autres brochures- en gros caractères. (D’après Catalogue Malombra).
André Blavier, Les Fous littéraires, Aux Editions des cendres, 2000, 674.
La rouspétade est paraît-il une attitude très française ! Mon dieu, qu’est-ce à dire ? Que certains ignoreraient la grogne ? Alors quoi, ils seraient toujours contents et satisfaits ? Mais que devient un peuple heureux ? C’est forcément triste, non ?! Faut dire que l’acariâtre, l’atrabile, l’amer ont eu jusqu’ici mauvaise presse. Aussi se dépêchait-on de les affubler d’adjectifs ridicules : grognon se situe quelque part entre ronchon, grincheux et bougon, c’est vous dire ! Heureusement, le grognard est arrivé pour venger les bilieux et les fielleux. Plus offensif que le renaudeur, plus hargneux que le râleur, il rend ses plus belles lettres aux ressauteurs, rogneux et autres rescailleurs. Et lorsque le grognard s’ébaudit dans l’humeur la plus noire, nous applaudissons.
Nous avons touché un mot de Guillotinez-moi, dans Amer#2. Aujourd’hui, toujours dans la série copinage, nous annonçons le nouvel essai de Patrick Wald Lasowski, intitulé Le Grand dérèglement, dans lequel vous découvrirez peut-être que le libertinage n’est pas seulement une attitude ou une théorie mais qu’il est aussi et surtout « un style, un rythme, un transport particulier dans le mouvement des corps et des idées, dans la circulation des textes et des postures ». Et c’est d’une langue stylée et rythmée, autant dire libertine, que Patrick Wald Lasowski nous transporte dans ce dix-huitième siècle emporté.
« En 1680, dans son Dictionnaire français contenant les mots et les choses, Pierre Richelet définit le libertinage comme « dérèglement de vie. Désordre ».
Dérèglement est le mot. C’est à travers lui, c’est à travers cette rencontre du libertinage et du dérèglement que le roman libertin du XVIIIe siècle s’approprie la peinture des plaisirs. La littérature romanesque n’est-elle pas la zone franche de la littérature comme le sexe est la zone franche du corps? Licence effrénée du roman. Il dérange les codes, renverse les usages, provoque les censeurs. Il est par excellence l’Irrégulier. « Femmes et filles plongées dans le désordre », il est impossible de garder « un silence profond sur vos dérèglements », écrit Diderot qui fait parler les bijoux pour faire entendre le désordre du monde. Chaque roman libertin rejoue à sa manière le jugement porté sur Le Portier des Chartreux : « Enfin toutes les règles du roman sont violées dans celui-ci : religion, mœurs, honnêteté, vérité, vraisemblance, rien n’est ménagé. » Si le roman a jamais eu de règles, s’il a souhaité s’en donner, les voici réduites à rien.
Le libertinage vient. »
Patrick Wald Lasowski, Le grand dérèglement. Le roman libertin du XVIIIe siècle, Gallimard, coll. « L’infini », Isbn : 978-2-07-011938-7